Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. XXX, p. 198-206.

Chapitre
XXIX 
Chapitre
 XXXI
Premier folio
198
Panneau de navigation

XXX — Du moule à réglets et des réglets de longueur


#Du moule à réglets
et des réglets de longueur

Les réglets de fonte sont des lames de métal de quatorze à quinze pouces de long, plus ou moins, dont l'épaisseur est proportionnée à la force du corps relative aux caractères. Le moule qui sert à fondre ces lames sur différents corps est de mon invention, ainsi que celui pour les interlignes, dont je parlerai ci-après. Je donne à l'article des Planches la figure de l'un et l'autre. On se servait auparavant dans les imprimeries de réglets ou filets faits avec des lames de cuivre quelconques, qui n'étant pas assujetties à nos forces de corps et, se trouvant toujours d'épaisseur inégale, rendaient les ouvrages coûteux et imparfaits.

Ce moule est composé de deux pièces principales, bien dressées sur toutes les faces, longues de quatorze à quinze pouces au plus, parce que si elles étaient plus longues, le métal remplirait difficilement l'espace vide pour les #petits corps : la largeur est de dix lignes trois quarts. Ces deux parties, dont l'une se nomme pièce de dessus, l'autre pièce de dessous, sont garnies, chacune d'un côté, d'une joue faisant équerre, qui les joint et les unit ensemble. Ces deux pièces, abaissées l'une sur l'autre à une distance déterminée, laissent entre elles un espace vide qui est rempli par le métal, et qui forme la lame. On augmente ou l'on diminue l'épaisseur de cette lame, en éloignant ou rapprochant les deux pièces du moule l'une de l'autre. Cela se fait en changeant au bas de la pièce de dessous un petit cadrat de cuivre qui y est retenu par une vis, pour en substituer un autre plus ou moins épais, toujours dressé sur une force de corps quelconque : ce cadrat est l'épaisseur que doit avoir la lame du réglet. On abaisse l'autre pièce par dessus ; elle porte une charnière dont le bout inférieur est fixé à la pièce de dessous par une vis qui lie les deux pièces ensemble par ce bout, de façon que le moule, qui est retenu par la charnière, s'ouvre en long comme un compas. Il s'agit de fixer l'autre bout du côté du jet à la même épaisseur que celle du fond : pour y #parvenir, on pose sur ce bout une lettre du même corps que le cadrat ; on ferme le moule dessus, en desserrant les deux petits registres de la pièce de dessus ; puis on les resserre avec les vis à hauteur du modèle. Ces registres portent par en bas sur la platine qui retient le jet de la pièce de dessous, laquelle platine soutient les deux parties du registre à la distance du modèle qui était interposé entre les deux longue pièces. Cette opération se fait en une minute à chaque variation de corps. Le moule étant ainsi monté et garni d'un bois dessus et dessous, on le ferme pour y couler le métal. Pour cela, on pose le côté de la charnière sur le banc du fondeur, et on tient l'autre bout élevé, en le serrant du pouce par dessus et des quatre doigts en dessous : on retient en même temps avec les doigts un carton entaillé qui laisse un rebord, au moyen duquel la main est garantie de la chute du métal qui pourrait s'échapper ; ou bien, pour plus grande sûreté, l'on a une petite fourche de fer dont les deux bouts recourbés en cercle entrent dans une fiche de fer qui traverse le bois de la pièce de dessous, deux pouces plus bas que le jet ; la #traverse de la fourche s'abaisse sur le bois de la pièce de dessus, et par le moyen du manche de cette fourche, on tient le moule élevé sans aucune crainte de se brûler.

Lorsque le moule est échauffé, il se remplit de métal d'un bout à l'autre, après quoi l'on ouvre le moule et l'on enlève la lame, en la prenant par le jet avec une pince de fer. Le jet de la pièce de dessous excède d'un quart de ligne le plan de la longue pièce, ce qui marque la séparation de la lame d'avec le jet par une petite entaille qui affaiblit cette partie, et qui fait que le jet se casse toujours au même endroit. Ces lames ainsi fondues et séparées du jet, sont posées l'une après l'autre sur le bord d'une table ou d'une planche ; puis, avec le couteau à apprêter, on les ratisse sur les deux faces planes, pour les polir et enlever les bavures de métal qui auraient pu s'y former. Si quelques-unes de ces lames sont bossuées, soit pour avoir été tirées trop chaudes du moule, ou parce qu'elles sont fort minces, on les redresse, après qu'elles ont été ratissées. Pour cela, on en met plusieurs l'une sur l'autre sur #une pièce de bois uni, sur une pierre, ou sur du marbre, et l'on frappe dessus avec un petit billot de bois bien dressé d'un côté.

Cela fait, il s'agit de tailler sur ces lames les réglets simples, doubles ou triples. Pour y réussir, on met la lame dans le justifieur sur la hauteur en papier, qu'il faut réduire à dix lignes et demie, en enlevant l'excédant de ladite hauteur avec un fer tranchant monté sur un rabot : ce fer, en ôtant le surplus de dix lignes et demie, dresse et polit cette face sur laquelle on taille la figure de la manière qui suit.

Pour le filet simple, comme celui-ci , on a un fer fendu de forme conique. Les deux côtés du fer bien trempés coupent et enlèvent les angles de la tige, et laissent le filet au milieu. Il est d'autant plus fin que le fer est plus enfoncé. Pour les réglets doubles, tels que ceux-ci on commence d'abord par enlever avec le fer conique l'extrémité des angles, en laissant un petit talus, surtout du côté du filet mince ; puis avec un fer pointu, taillé en langue de serpent, on fend le réglet plus ou moins, selon que l'on enfonce le fer, en laissant un filet mince d'un #côté et un gras de l'autre ; ou bien on le fend dans le milieu, si l'on veut que les deux filets soient égaux. Les réglet triples se font de même. Après avoir enlevé les angles avec le fer conique, on taille d'abord un filet avec un fer pointu, puis avec un autre fer pareil on taille l'autre côté. Ces fers sont montés chacun sur les rabots à couper les lettres, à la hauteur et à la place convenables.

Lorsque l'on emploie la matière la plus forte pour fondre ces réglets, il se trouve souvent de petites soufflures qui interrompent la continuité du réglet sur la lame, ce qui cause beaucoup de déchet ; mais comme rarement on a besoin de longueurs de douze ou quinze pouces, on prend les bonnes parties qui sont sur la lame, que l'on scie suivant les différentes longueurs dont on a besoin. Voici ce qu'il faut faire pour en scier promptement un certain nombre sur une même longueur. On a un composteur de bois dont la languette et la poignée ont cinq à six lignes de haut  : après avoir mis d'équerre un des bouts de chaque lame par le moyen de la lime, on en place quatre à cinq à la fois sur le composteur, #où elles sont retenues contre les rebords du fond et de la poignée ; sur ces lames, on pose un réglet taillé juste de la longueur dont on a besoin ; puis avec une scie fine de ressort de pendule, dont les dents sont serrées et un peu graissées avec du suif, on scie ces quatre ou cinq lames au défaut du modèle. On dresse de nouveau d'équerre, avec la lime, les bouts qui restent, et on scie de même toujours au défaut du modèle qui sert de guide pour conduire la scie, mais en évitant les endroits souillés, qu'il faut mettre à part ou jeter, lorsqu'ils ne peuvent entrer dans la longueur requise.

Tous ces réglets sciés se trouvent donc de même longueur, dressés à la lime et d'équerre par un bout. Mais il pourrait arriver que l'ouvrier eût un peu incliné la scie de pied en tête du réglet ou de haut en bas, ce qui ferait une petite différence de ce côté : il faut donc s'en assurer, surtout pour les réglets qui sont destinés à former des cadres, lesquels doivent être extrêmement justes. Pour cela, on les poses les uns auprès les autres sur un calibre que j'ai fait exprès  : ce calibre, qui est de bois, est percé #dans sa longueur de trous à distances égales, pour y arrêter avec une vis et un écrou une coulisse de fer à la distance que l'on veut, comme la coulisse du composteur de l'imprimeur. Le réglet est appuyé sur cette coulisse par le bout qui est dressé, et le rebord de cette espèce de composteur soutient la longueur. Au bout supérieur de ce calibre de bois est une plaque de fer ou de cuivre, mise d'équerre. Tout ce qui excède ce bout est limé au niveau de la plaque, et par là on est sûr qu'il n'y a pas un réglet plus long que l'autre.

Lorsque les réglets sont destinés à faire des cadres, il faut les tailler en biseau par les deux bouts, ce qu'on appelle onglet, et de façon que les deux réglets joints ensemble par l'onglet fassent l'équerre parfaite. Pour y réussir, l'on prend avec le trusquin l'épaisseur de la lame du réglet : cette épaisseur étant fixée, on la trace avec la pointe du trusquin sur le plan du réglet à chaque bout, depuis l'œil jusqu'au pied ; puis avec une lime large, plate et un peu aiguë, on lime ces deux bouts en biseau, depuis le trait qu'il faut laisser apparent, jusqu'à ce que l'on ait atteint le vif de l'angle opposé. #Cela étant observé, les réglets auront toute la perfection que l'on peut désirer.



Chapitre XXX Chapitres voisins Manuel
Début (texte) XXIX  Mode texte XXXI  Accueil
Premier folio
(mode image)
XXIX  Mode image  XXXI Table des chapitres
Version PDF Index