Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. XV, p. 109-115.

Chapitre
XIV 
Chapitre
 XVI
Premier folio
109
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XV — Du métal servant aux caractères


#Du métal servant aux caractères

Le métal avec lequel on fabrique les caractères d'imprimerie, est une composition faite exprès et qui ne sert qu'à cet usage. Le plomb en est la base ; il est renforci ou durci par le mélange d'autres métaux ou d'un minéral métallique. Cette mixtion prend le nom de matière ; de là vient qu'on dit une matière forte, une matière faible, pour distinguer les degrés de dureté que l'on a donnés au plomb.

La matière a été composée pendant longtemps de plomb, de cuivre cru dit potin, et quelquefois de fer : ces dernières parties étaient fondues séparément du plomb avec de l'antimoine, puis mêlées ensemble. Cette opération était longue et pénible, et ne produisait qu'un métal imparfait. Il était gras ou peu fluide, et souffrait un déchet considérable, qui venait de ce que l'antimoine étant employé# cru, il ne s'en échappait que les parties régulines pour renforcer le plomb ; les parties terrestres, sulfureuses et salines, s'almagamaient avec les scories du potin et du fer, et formaient sur la marmite, après le mélange du plomb, une croûte dure qu'on enlevait, et qui emportait un cinquième ou un sixième du total de la mise. D'autres mettaient toutes ces parties ensemble dans un fourneau fait exprès, ou étant fondues par un grand feu de charbon animé par un soufflet de forge, elles tombaient dans un récipient d'où on faisait couler le métal dans des lingotières.

Depuis une trentaine d'années, on a simplifié le travail et la composition du métal, et on a trouvé le moyen de le faire meilleur sans trop de peine, en le composant tout simplement de plomb et de régule d'antimoine. C'est à cette dernière façon que je vais m'arrêter, comme étant la meilleure.

L'antimoine dégagé de ses parties terrestres, sulfureuses, et salines, et réduit à ses seules parties brillantes, dures ou métalliques, est ce qu'on appelle le régule. La dose qu'il en #faut pour renforcer le plomb, est de quinze, vingt ou vingt-cinq pour cent, c'est à dire que l'on mettra quinze, vingt ou vingt-cinq livres de régule, ou environ, sur cent livres de plomb, selon la qualité de la matière que l'on veut faire : on la distingue en matière faible, matière moyenne et matière forte, qu'on emploie suivant la nature de l'ouvrage ou selon le prix que l'imprimeur veut mettre au caractère. La dernière dose est destinée pour les caractères de Nompareille et de Mignonne ou Petit-texte.

Pour cela , on bâtit sous une cheminée un fourneau de brique de quatre à cinq pieds de long sur environ deux pieds et demi de large. Ce fourneau est divisé en deux parties : l'une renferme une marmite de fer fondu propre à contenir quatre à cinq cents pesant de métal. Cette marmite est enclavée jusqu'à l'orifice dans le fourneau, à huit ou neuf pouces de l'âtre ; une petite porte qui est au bas, sert à mettre le bois sous la marmite, et on ménage dans l'angle du fond une ouverture qui s'élève de deux pieds au dessus du fourneau, en forme de petite cheminée, pour laisser échapper# la flamme et la fumée, qui par ce moyen n'incommode pas les ouvriers. L'autre moitié contient un carré de 16 à 18 pouces, partagé au milieu par une ligne de fer posée horizontalement : la partie supérieure sert à la fonte du régule ; le dessous est le cendrier, devant lequel il y a une petite porte servant de ventouse.

On met ordinairement dans la marmite trois cents livres de plomb, que l'on fait fondre au moyen d'un feu de bois : le carré qui est de l'autre côté, est rempli par quatre creusets de terre, ou par une seule marmite de fer que l'on pose sur la grille. On partage dans ces quatre creusets la quantité de régule nécessaire pour renforcer les trois cents livres de plomb, ou bien on met cette totalité dans la petite marmite qui est fermée par un couvercle de tôle, si l'on s'en sert au lieu de creusets. Ce régule est fondu par un feu de charbon, dont on remplit le fourneau jusque par dessus les creusets ou la marmite : lorsqu'il est bien enflammé, on couvre négligemment le dessus avec un morceau de tôle de la grandeur de l'orifice du fourneau, qui concentre la chaleur en dedans.# En une heure de temps, le régule est fondu : lorsqu'il est bien rouge, on enlève les creusets les uns après les autres, avec une pince de fer à mâchoires circulaires, qui les embrasse, et on les vide dans la marmite qui contient le plomb. Si c'est dans une petite marmite que l'on a fait fondre le régule, on le puise avec une grande cuillère à survider, que l'on fait chauffer auparavant. Á mesure que l'on verse le régule sur le plomb, un ouvrier tourne le mélange avec un gros bâton, pour rendre la mixtion plus intime ; ensuite on écume les scories qui se trouvent dessus la marmite ; puis on verse le métal dans des lingotières, avec des cuillères à survider, et on recommence l'opération, tant qu'on a de la matière à faire.

Le vieux plomb est préférable au neuf, parce qu'il est plus purifié et plus dur : parmi le neuf, il y en a de fort mauvais pour cet usage, tel que celui qu'on a tiré d'une nouvelle mine de Bretagne, qui est trop mou.

Le plomb ainsi fortifié et durci par le régule, fait un métal sec et cassant : il suffit de donner quelques coups de marteau sur un lingot# de 50 ou 60 livres pour le mettre en morceaux. Les cassures présentent un grain fin et brillant : plus le métal est fort, moins ce grain paraît égal dans le lingot, parce que le régule, plus léger que le plomb, monte un peu à la superficie du lingot avant de se figer ; mais il se mêle de nouveau dans la cuillère du founeau à fondre les caractères.

Le plomb est beaucoup plus fusible que le régule ; celui-ci ne se fond qu'à un très grand feu. Au contraire lorsque la mixtion est faite, le métal qui en provient est plus fusible que le plomb même, parce qu'il est beaucoup plus poreux : le plomb qui est mat et sans beaucoup de pores, se laisse pénétrer plus difficilement par le feu.

Le métal diminue, par l'usage, de poids et de qualité. Comme il est toujours en fusion devant l'ouvrier qui le jette en moule, il s'élève à la surface des scories en forme de peau, que l'on repousse au fur et à mesure dans le coin de la cuillère : ces scories sont la partie la plus subtile du régule, qui monte toujours, ce qui l'affaiblit d'autant plus ; c'est ce qui fait que pour de petits caractères, qui demandent un métal plus chaud, lequel reste plus longtemps sur le feu, #à cause de la petite consommation que l'on en fait à la fois, il faut que le métal soit plus fort que pour des caractères plus gros. Quand ce métal revient à la fonte, après que les caractères soient usés, il reçoit de nouveaux degrés d'affaiblissement du côté de la quantité et de la qualité, ce qui oblige à le renforcer avant de l'employer de nouveau .

Voilà en quoi consiste tout le mécanisme par lequel se fait la matière ou le métal des caractères, qui est passé longtemps pour un secret ; mais comme ce métal ne se fait plus qu'avec du régule dont la manipulation est peu connue et peu exercée, je vais la décrire ici, afin de ne laisser rien à désirer sur cette partie.



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