Cet article a besoin d'une explication particulière, parce qu'il est nouveau et inconnu. Je lui donne place ici pour faire connaître les nouvelles proportions que j'ai données aux corps de caractères, par des mesures fixes que je nomme points typographiques.

Le dernier Règlement de la librairie, fait en 1723, a fixé la hauteur en papier à dix lignes et demie géométriques : cette règle est aussi facile à donner qu'il est aisé de la pratiquer ; mais il n'en a pas été de même, lorsque le règlement a voulu établir des lois pour fixer la force de corps desdits caractères. Dans le ^#temps qu'on a fait ce règlement, il ne s'est apparemment trouvé personne en état de fournir des idées justes sur cet article, qui était très important, puisqu'il s'agissait de corriger des abus et de mettre de l'ordre et de la précision où il n'y en avait jamais eu. Á défaut de lumière sur ce point, un maître imprimeur donna pour règle les caractères qui se trouvaient dans son imprimerie, avec tous leurs défauts. La loi qui a été portée en conséquence, n'étant fondée sur aucun principe, est restée sans exécution ; ce qui fait que les corps des caractères n'ont jamais eu de grandeurs fixes et raisonnées, et que ce désordre est encore aussi grand qu'il l'était pour lors.

On donne, article LIX de ce Règlement pour corps propre, que le Petit-canon porte deux Saint-augustin ; le gros Parangon, un Cicéro et un Petit-romain, etc. mais on ne donne pas l'étendue que doivent avoir ce Saint-augustin, ce Cicéro et ce Petit-romain, pour faire ensemble le Petit-canon ou le Gros-parangon. On peut donc toujours s'écarter de la loi, et on l'a fait tant qu'on l'a voulu sans être répréhensible, parce qu'on fera un ^#corps de Saint-augustin plus faible qu'un autre, et qu'on assujettira le Petit-canon à cette double épaisseur au moyen de quoi la loi est remplie : un autre sera ce corps de Saint-augustin plus ou moins fort, et de ces deux corps il formera le Petit-canon ; voilà encore la loi remplie, quoique dans un esprit opposé à celui du règlement. C'est ainsi que la confusion s'est perpétuée dans cette partie, jusqu'au point qu'on a quelquefois de la peine à faire la distinction de deux corps, dont le supérieur est faible et l'inférieur fort. Il arrive donc que les caractères d'un même corps varient plus ou moins, et lorsqu'il s'en trouve de tels dans une imprimerie, les ouvriers mêlent ensemble les cadrats et les espaces, ce qui gâte les deux fontes.

Le règlement a pourvu à ce défaut, me dira-t-on, puisqu'il ordonne que l'on remette aux fondeurs un certain nombre de lettres sur chaque corps, pour qu'ils aient à s'y conformer, sous peine d'amende. Mais ces lettres que l'on a proposées au hasard, et que l'on n'a jamais données, n'auraient pas remédié au mal que l'on voulait éviter, puisque leurs ^#corps auraient été sans détermination de leurs grandeurs respectives, sans proportion raisonnée, sans correspondance générale, enfin sans principe. Ces prétendues règles, au lieu d'apporter de la précision et de l'ordre, augmentent au contraire la confusion en multipliant les êtres sans nécessité. De là vient que les corps de Petit-canon, de Gros-parangon, de Gros-romain, de Cicéro, de Philosophie, de Gaillarde, de Mignonne, se trouvent, suivant le Règlement, sans corps double, sur lesquels on puisse faire les lettres de deux points, dont cependant tous ces corps ne peuvent se passer. Voilà donc sept ou huit corps sans noms, inutiles pour toute autre chose, et dont l'imprimerie est surchargée. D'ailleurs cette division de corps d'un Cicéro et d'un Petit-romain pour former le Gros-parangon, d'un Petit-romain et d'un Petit-texte pour former celui du Gros-romain, d'un Petit-texte et d'une Nompareille pour former le Saint-augustin, annonce bien le peu d'expérience et de capacité de ceux qui l'ont proposée. Pourquoi diviser des corps par ces parties inégales, qui ne mènent à rien, et dont on ne peut ^#rendre compte ? Aussi ce point du règlement n'a t-il jamais eu d'exécution. On a senti le défaut, mais on n'a jamais su trouver le remède , et cela parce que les imprimeurs, qui sont [les] seuls consultés dans ces affaires, ne sont pas assez typographes pour faire de bonnes discussions et donner des règles dans une partie de l'art qu'ils n'exercent pas, et qu'ils ne connaissent souvent que de nom.

Voilà ce qui m'a engagé à débrouiller ce chaos, en mettant dans cette partie un ordre qui n'y avait jamais régné : je crois avoir eu le bonheur d'y réussir avec une justesse et une précision qui ne laissent rien à désirer, par l'invention des points typographiques. Ce n'est rien d'autre que la division des corps de caractères par degrés égaux et déterminés, que j'appelle points. Par ce moyen, on connaîtra au juste les degrés de distance et les rapports des corps. On pourra les combiner ensemble de la même manière que l'on combine les signes numéraires ; et comme deux et deux font quatre ; ajoutez deux, il viendra six ; doublez ce tout vous aurez douze, etc. de même une Nompareille, qui porte six points, avec ^#une autre Nompareille, feront ensemble le Cicéro, qui en a douze ; ajouter encore une Nompareille, vous aurez dix-huit points ou le Gros-romain ; doublez le tout qui fera trente-six points, ce sera la Trismégiste qui porte ce nombre, et ainsi de suite, comme on le verra par la Table des Proportions qui va suivre.

Pour faire la combinaison des corps, il suffira de savoir le nombre de points typographiques dont ils sont composés. Il faut pour cela que ces points, ou grandeurs données, soient invariables, de manière qu'ils puissent servir de guides dans l'imprimerie, comme le pied de roi, les pouces et les lignes en servent dans la géométrie. Á cet effet, j'ai fixé ces points à la grandeur juste qu'ils doivent avoir, dans l'échelle qui est à la tête de la Table des Proportions ; et pour s'assurer invariablement de la justesse de l'exécution du corps des caractères, j'ai imaginé un instrument que je nomme Prototype, dont on verra ci-après la description et la figure.

L'invention de ces points est le premier hommage que j'ai rendu à la typographie en 1737. ^#Obligé pour lors à commencer une carrière longue, pénible et laborieuse, par la gravure de tous les poinçons nécessaires à former l'établissement de ma fonderie, je ne trouvais aucune règle établie qui pût me guider pour fixer les corps des caractères que j'avais à faire. Je fus donc dans l'obligation de me former des principes ; ce que je fis, et je les rendis sensibles à la table suivante.

Elle porte en tête une échelle fixe et déterminée, que je divise en deux pouces, le pouce en douze lignes, et la ligne en six de ces points typographiques ; la totalité est de 144 points. Les premières petites divisions sont de deux points, qui est la distance juste qu'il y a du Petit-texte au Petit-romain, de celui-ci au Cicéro, etc. Il faut prendre sur cette mesure le nombre de points que j'assigne à chacun des corps. Ces mesures bien prises pour chaque corps en particulier, et vérifiées sur le Prototype, formeront ensemble une correspondance générale pour tous les corps des caractères, ce qui va être prouvé par les combinaisons suivantes.

Cette échelle contient dans sa totalité douze ^# corps de Cicéro. Après l'impression de cette même table, que je publiai en 1737, je me suis aperçu que le papier en séchant avait rétréci un peu la juste dimension de l'échelle : j'ai prévu ici ce défaut, en suppléant ce qu'il fallait pour le rétrécissement du papier.

Chaque corps qui est en tête des articles, est divisé ou rempli avec la plus grande exactitude par les combinaisons qui sont marquées sur cette table, lesquelles sont composées de corps égaux, inégaux et multipliés. Les premiers sont distingués par cette figure – , les seconds par celle-ci =, et les troisièmes par cette autre +.

^#TABLE GÉNÉRALE
DE LA PROPORTION
des différents corps de caractères

É C H E L L E  F I X E
de 144 points typographiques

[On ne respecte pas ici la présentation de Fournier (comme visible ici), préférant des changements de ligne à ses notations « — = et + », le contenu restant toutefois le même.]