Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. XXXIII, p. 213-221.

Chapitre
XXXII 
Chapitre
 XXXIV
Premier folio
213
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XXXIII — Du coupoir


#Du coupoir

Le coupoir est un instrument propre à retenir et à serrer deux ou trois cents lettres à la fois, pour leur enlever, avec des rabots faits exprès, certaines parties du corps qui nuiraient à l'impression.

Il y a deux sortes de coupoirs ; l'un de bois, dont l'usage est à peu de chose près aussi ancien que l'imprimerie ; l'autre est de fer, et moderne. Le coupoir de bois est composé principalement d'un billot de bois de dix-huit pouces en carré, qui a dans sa longueur une entaille de trois à quatre pouces de profondeur sur huit à dix de large. Ce billot est assujetti# à hauteur d'appui sur une espèce de banc fermé à l'entour pour recevoir des rognures. On pose entre les parois de l'entaille le justifieur, composé de deux pièces de bois égales de vingt à vingt-deux pouces de long sur deux de large : ces deux pièces s'emboîtent l'une dans l'autre à rainure et à languette, et peuvent contenir depuis deux cents jusqu'à trois cents lettres, lesquelles posant par le pied ou par l'œil sur la languette du justifieur, sont arrêtées à chaque bout par une petite éminence de l'épaisseur du corps, que l'on nomme noix. Le justifieur garni des lettres est posé entre les parois du coupoir : l'excédent de l'entaille du côté droit, qui est un peu en talus dans sa longueur, est rempli par un coin de bois qui l'occupe entièrement. On enfonce ce coin à petits coups de maillet, ce qui serre les lettres sur le corps ; puis quelques petits coups donnés sur la pièce du justifieur qui touche le coin resserrent les lettres sur elles mêmes, les une contre les autres. Ces lettres ainsi serrées sont coupées avec un fer posé dans un rabot de bois. Les rabots ont en dessous deux languettes qui les élèvent ; l'une de ces languettes entre #dans une rainure faite sur la pièce du justifieur qui se trouve à droite : cette rainure conduit le rabot sur une même ligne, et le fer qui est posé au milieu enlève les parties de métal qui lui sont opposées. Je ne m'étendrai pas d'avantage sur ce coupoir de bois ; celui de fer mérite un détail plus circonstancié : pour le mieux connaître, on aura recours aux planches et à l'explication des figures.

Ce coupoir de fer, ainsi appelé parce que la plus grande partie des pièces sont en fer, a été inventé à Sédan par Jean Jeannon vers 1650, puis laissé dans l'oubli pendant plus de soixante ans. Pierre Cot le remit en usage vers 1700, après y avoir fait quelques changements ; mais c'est par mes soins qu'il a été mis, en 1739, dans l'état où je le présente.

L'inspection générale du coupoir offre l'idée d'un buffet ou d'un bas d'armoire à hauteur d'appui, de trois pieds de long sur un et demi de large. La surface est couverte jusqu'à moitié de sa longueur d'une forte planche, qui est la table sur laquelle le train est enclavé et coule transversalement dans les rainures que l'on y a pratiquées. L'autre moitié, qui a un #fond de neuf à dix pouces de profondeur, est le coffre à recevoir les rognures du métal. La table est encore garnie de deux pièces qui y sont enclavées à queue d'aronde à fleur de bois, et retenues par dessous avec des écrous : l'une est le talon replié d'équerre par le bout, pour servir d'appui au justifieur. Ce talon est dans le haut vers le milieu, et déborde de deux pouces dans le vide du coffre. L'autre pièce, qui est le porte-écrou, est posée sur la même ligne, à un pouce près ; elle est sur le devant, et déborde en dehors de trois pouces. Cette partie saillante retient un écrou de dix-huit lignes de long, et de la hauteur du justificateur. L'écrou est traversé par une vis qui a un manche en équerre ; on la nomme vis de la frotterie, parce qu'elle est destinée à presser les lettres sur elles-mêmes du côté de la frotterie, en repoussant la pièce de dessus du justifieur qui retient les dites lettres par un bout, pendant que la pièce de dessous qui les retient aussi de l'autre côté, reste fixée sur le talon. Le train destiné à serrer les lettres sur le corps est composé de plusieurs pièces ; savoir, les gémelles, qui sont deux bandes de fer égales, #de douze à quatorze pouces de long, recourbées d'équerre de huit à dix lignes par un bout, ce qui forme deux tenons qui entrent dans deux mortaises pratiquées dans une des tablettes : ces bandes sont fixées de l'autre bout par des vis et des écrous à une traverse qui les retient. Le milieu de cette traverse est garni d'un gros écrou de cuivre fondu, destiné à faire mouvoir ce train en faisant couler les gémelles à fleur de bois sur la table, dans les rainures que l'on y a aménagées ; et pour empêcher que ces gémelles ne se lèvent hors de leurs rainures, elles sont assujetties par une bande de fer enclavée dans la table et entaillée à l'endroit de ces gémelles, ce qui leur permet d'aller et de venir.

Pour faire mouvoir le train, on passe dans l'écrou la vis qui lui est destinée : elle traverse le buffet à droite, et est arrêtée sur les parois, savoir, en dedans par un collet attaché à vis, et en dehors par une bande de fer fixée à l'extérieur de la traverse ou paroi dudit buffet avec des vis. De cette façon, cette vis ne recule ni n'avance ; mais en la tournant avec une clef, laquelle entre à pan dans la tête qui excède# d'un pouce et demi la traverse du buffet, elle attire à elle ou repousse le train. On la nomme vis de corps, parce qu'elle serre les lettres sur le corps : voici comment. Sur cette table ainsi garnie du train, l'on monte deux tablettes d'un pouce d'épais, qui en cachent tout le mécanisme en couvrant la table, à l'exception du milieu où il reste dans la longueur un vide propre à recevoir le justifieur. Ces deux tablettes sont revêtues chacune, par la face qui touche le justifieur, d'une lame de fer dressée et bien unie. Une des tablettes est posée à droite du coupoir, et fixée sur la table par des vis qui traversent la tablette et ladite table, et qui sont fortement serrées par dessous avec des écrous ; l'autre, posée à gauche, est mobile et suit le mouvement du train ; elle est arrêtée dessous par deux mortaises creusées à mi-bois, qui emboîtent les deux tenons des gemelles, et par dessus avec des vis de chaque côté, dont les têtes plates sont retenues sur des bandes de fer au niveau de la tablette ; les vis répondant de l'autre bout dans des écrous faits sur les dites gémelles, lient ces parties, et les font mouvoir ensemble. Cette tablette de la #gauche, ramenée avec le train sur celle de la droite, serre entre deux le justifieur qui est rempli de lettres.

Le justifieur est une partie du coupoir qui demande beaucoup de perfection. Il est composé de deux pièces principales de vingt-deux pouces de long sur huit lignes de large, dont le mérite consiste à être bien dressées et égales sur toutes les faces. On les distingue en pièce de dessous et pièce de dessus : elles ont toutes deux une petite rainure en bas, dans toute la longueur, pour loger quelques parties saillantes qui pourraient excéder le corps du côté de l'œil. Chacune de ces deux pièces est garnie par un bout d'une petite lame de fer nommée noix, laquelle est retenue par deux vis, et fait une éminence à peu près de l'épaisseur du corps du caractère que l'on coupe. On change les noix suivant que le caractère que l'on veut couper est plus ou moins gros. La pièce de dessous porte une platine qui fait un retour d'équerre saillant de huit ou neuf lignes dans toute la longueur : elle est destinée à recevoir et à retenir l'œil et le pied de la lettre alternativement. Entre cette platine et la pièce, il y #a deux pièces mortaises, une à chaque bout, qui reçoivent deux languettes placées aux mêmes endroits de la pièce du dessus, lesquelles unissent ces deux pièces ensemble, les retiennent sur un même plan et les font couler carrément.

Une rangée de deux ou trois cents lettres glissées à la fois sur la pièce du dessous, y est retenue dans la hauteur par la platine, et appuyée de côté sur la noix. Lorsque l'autre pièce est abaissée dessus ces lettres, elles se trouvent enclavées entre les deux sur le corps, et arrêtées sur la frotterie par le deux noix.

Le justifieur ainsi garni de lettres étant porté entre les parois des tablettes, la pièce de dessous est arrêtée sur le talon par un bout, tandis que la vis de la frotterie pointée à l'autre bout sur la pièce de dessus, la repousse et serre les lettres entre les noix : en même temps, un coup de main donné sur la vis du corps rapproche les tablettes qui pressent les lettres sur le corps ; après quoi on se sert des rabots, comme je l'ai dit ci-dessus.

La description que je viens de donner, et la figure que j'y joins, sont faites sur mon #coupoir, que j'ai fait exécuter avec des changements utiles, qui, en concourant à la promptitude de l'ouvrage, contribuent à la bonne grâce et à l'aisance de celui qui exécute. Aux coupoirs qui ont été faits avant le mien, l'on a mis la vis du corps à gauche et celle de la frotterie au bout donnant sur le coffre, de façon que l'ouvrier qui travaille est obligé de pencher son corps sur le coupoir sept ou huit cents fois par jour, pour aller serrer et desserrer une vis qui est loin de lui, pendant que le talon qui se trouve pour lors sur le devant, et qui déborde de deux ou trois pouces, lui frappe le ventre à chaque fois ; au lieu qu'en mettant la vis de la frotterie en devant et celle du corps à droite, ainsi que je l'ai fait, l'ouvrier agit dans une position naturelle, plus facile, et avec beaucoup de diligence.

Dans ce détail, j'ai omis de faire mention de différents outils nécessaires au coupoir dont je marquerai ci-après l'usage, lorsque j'en donnerai la figure et la description.



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