Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. XXI, p. 163-166.

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XXI — Du cran


#Du cran

Tout ce qui se fond sur un moule ordinaire porte l'empreinte d'un cran formé par une élévation circulaire, qui se trouve à une des deux pièces du moule. Cela sert à faire connaître le sens de la lettre ; de sorte qu'en observant de mettre toujours ce cran dans le même sens en composant les lettres, on est sûr qu'elles se trouvent dans leur vraie position.

Ce cran est ordinairement posé à deux ou trois lignes du pied de la lettre sur la partie supérieure du corps, c'est-à-dire, du côté où les accents aigus, graves, etc. sont posés sur les voyelles ; ce qui fait qu'en regardant le sens des lettres, soit en particulier, soit en lisant sur la fonte ou sur le papier, le cran est réellement dessus. De là les fondeurs disent que le caractère est à cran dessus, lorsqu'il# est ainsi posé : les imprimeurs au contraire disent qu'il est cran dessous dans le composteur pour composer les lignes ; ce qui fait une équivoque sujette à erreur. Il faut convenir du vrai terme, et dire cran dessus, lorsque ce cran sera en effet sur la partie supérieure de la lettre ; autrement il faudrait dire aussi, pour la même raison, qu'un accent aigu est dessous un e, ce qui serait ridicule. Cette décision est d'autant plus nécessaire, qu'en Allemagne, en Hollande, en Flandre et même dans le Lyonnais, ce cran est réellement posé en dessous, c'est-à-dire, du côté de la queue des p et des q ; d'où il arrive que dans ces pays, on compose cran dessus. Il faut donc nommer le cran de sa vraie position, et non de la manière dont le compositeur le pose en travaillant: en conséquence, on dira cran dessus, lorsqu'il sera dessus, et cran dessous quand il sera dessous ; ce sont des dénominations naturelles, qui n'occasionneront plus d'équivoque.

Il y a des caractères que l'on distingue par deux crans, comme la Mignone, la Gaillarde et la Philosophie, qui ne sont que des semi-corps,# c'est-à-dire, qu'ils ne diffèrent des autres corps que d'un point typographique, alors que les caractères ordinaires diffèrent de deux. La différence du corps de ces trois caractères d'avec ceux qui les avoisinnent est si petite, que l'on peut s'y tromper et mêler les cadrats, les espaces et même les lettres d'un caractère, avec ceux d'un autre : c'est donc pour mettre ces corps hors d'équivoque, qu'on leur fait ordinairement deux crans. Pour cela, on pose sur la pièce de dessous de ces moules deux crans au lieu d'un, ce qui fait que la lettre, les cadrats et les espaces sont marqués de ces deux lignes.

Il y a encore d'autres caractères que les imprimeurs veulent distinguer par deux crans, pour empêcher qu'ils ne se mêlent dans leur imprimerie, comme pourrait être un Cicéro œil ordinaire par rapport à un autre Cicéro œil moyen ou gros œil. Si le second cran n'est pas marqué au moule, comme il arrive ordinairement, il faut faire ce second cran au coupoir avec un fer taillé exprès, qui, en même temps qu'il coupe la lettre par le pied pour ôter l'excédent du jet, forme sur le corps un #second cran, le tout d'un seul coup de rabot. Ce fer a une partie tranchante comme le fer du pied ; une autre partie adhérente par le côté, descend plus bas de deux à trois lignes, et présente une petite éminence circulaire qui entame le corps à côté du premier cran, où il en forme un second. On juge bien qu'il faut avoir grand soin de présenter les lettres toujours du même sens dans le justifieur, sans quoi il se trouverait des lettres qui auraient un cran de chaque côté. Quant aux cadrats et aux espaces destinés pour ces caractères marqués de deux crans, si on veut aussi les distinguer, on ne peut le faire par une entaille sur le corps, à cause qu'ils n'excèdent pas assez le justifieur. Il ne reste d'autre parti que celui de faire un cran en forme de gouttière sur les deux bouts, ce qui s'exécute avec le fer et le rabot destinés à couper les lettres par le pied. Cette marque suffira pour faire distinguer ces cadrats et espaces.



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