Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. XI, p. 68-76.

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 XII
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XI — Des matrices
   De la frappe des matrices


#Des matrices
De la frappe des matrices

Les matrices sont le fruit et le résultat des poinçons : c'est pour les former, qu'ont été faits tous les préparatifs que nous venons de voir. Ce sont de petits morceaux de cuivre rouge, de quinze à dix-huit lignes de long pour l'ordinaire, sur trois lignes environ d'épaisseur, mais dont la largeur est relative à celle des lettres, des ornements, etc. que l'on veut frapper.

Le meilleur cuivre pour cet usage est coupé sur des planches de cuivre rouge que l'on nomme monnaie de Suède, parce qu'en effet ces planches, du poids de six à huit livres, portent aux quatre coins la marque des armes de Suède, et servent de monnaie dans le pays. Le marchand coupe ces planches par bandes, avec #de grosses cisailles : on les forge ensuite sur une même épaisseur, mais un peu plus larges les unes que les autres, pour les différentes largeurs des matrices. Lorsque ce cuivre ne peut pas suffire pour la grosseur, on se sert alors de celui qui est en barreaux. On forge aussi ce cuivre sur différents calibres, à raison de la largeur des objets que l'on se propose de frapper, et on coupe ces bandes par petits morceaux de même longueur ; après quoi on les fait recuire, en les mettant à rougir dans le feu, et en les jetant ensuite dans l'eau. Cette trempe fait sur le cuivre un effet contraire à celui qu'elle produit sur l'acier : elle durcit celui-ci, au lieu qu'elle dilate les pores du cuivre et le rend plus tendre, en même temps qu'elle le nettoie d'une partie des scories de la forge. Ce recuit ou cette trempe du cuivre n'a lieu que pour les caractères un peu gros et qui se frappent à froid, afin que le poinçon trouve moins de résistance ; mais pour les petits caractères jusqu'au Cicéro, il est bon qu'il soit frappés sur du cuivre non recuit, parce qu'alors la différence n'est pas difficile à vaincre : le cuivre étant par là plus serré et #plus compact, la matrice dure davantage.

Il faut, après cela, parer le cuivre. Cette opération consiste à polir une de ses faces, pour la disposer à recevoir l'empreinte : ce qui se fait d'abord en limant cette face avec une lime ordinaire, puis avec une autre plus douce, et ajoutant un peu d'huile pour effacer et unir les traits de la première ; ensuite on passe fortement un brunissoir par dessus pour la polir. Ce brunissoir est un morceau d'acier trempé, long, rond, poli et emmanché.

Quand le cuivre est ainsi paré, on trace sur chacun des morceaux l'endroit où le poinçon doit être frappé, qui est environ à trois lignes au dessus d'un des bouts.

La frappe des poinçons demande une main sûre et exercée ; c'est ce qui a fait dire qu'une matrice bien frappée est à moitié justifiée. Pour les petits caractères, on a devant soi sur son établi un petit tas ; celui qui est percé pour les contrepoinçons peut servir, en le retournant. On met le morceau de cuivre dessus cette face du tas ; on tient le poinçon de la main gauche ; après l'avoir passé sur une carte à plusieurs reprises, ce qui donne plus de brillant à son poli, #on le présente au bas du cuivre ; là, d'un petit coup de masse, on en fait une légère empreinte. Si la lettre imprime trop à droite ou à gauche, on tourne un peu le poinçon et on en fait une seconde empreinte au dessus de la première, après celle-là une autre, toujours en s'assurant de la meilleure position du poinçon ; on arrive ainsi à l'endroit où il doit être frappé. Alors, assuré par les précédents essais que le poinçon est dans la vraie position qu'il doit avoir, on l'enfonce à coups de masse, le plus perpendiculairement qu'il est possible, jusqu'à ce qu'il soit à la profondeur d'une ligne environ, plus pour les gros caractères, et un peu moins pour les petits. On réitère cette opération de suite à plusieurs poinçons, ce qui assure la main et rend la frappe plus égale.

Les lettres qui portent des accents, comme les cinq voyelles a, e, i, o, u, etc. après avoir été frappées seules, le sont de nouveau chacune avec ces figures qui sont des accents aigus, graves, circonflexes, tréma, titres, brèves, longues et douteuses : le même poinçon sert encore pour cette opération, voici comment [voir planche IV, fig. 10-12]. On fait d'abord sur les #poinçons de ces cinq voyelles, même sur les m et n, à cause des titres, une entaille de cinq à six lignes de long ; puis on grave séparément sur des petits morceaux d'acier, exactement de la même longueur que l'entaille, la figure seule des diverses accents ; on les trempe comme le poinçon, et on les pose successivement sur cette entaille, qu'ils remplissent exactement ; alors on les lie ensemble sur un double fil ciré, et on les frappe ainsi dans le cuivre : le point de l'i est ajouté comme un accent.

Lorsqu'on a des lettres à traits un peu larges à frapper, comme des lettres de deux points ou des filets, il faut en tracer le trait droit sur le cuivre. On dresse pour cela un des flancs de la matrice, en le passant en long sur une lime ; puis on appuie le long du cuivre la grosse branche du beuveau, qui forme un rebord ; l'autre branche sert à guider la pointe pour tracer un trait droit et d'équerre ; et sans autre essai sur la matrice, après avoir posé le poinçon juste à ce trait, on l'y frappe. Pour un coin de vignette, comme ceci , dont les extrémités doivent tenir tout le corps, on trace de même sur le cuivre deux traits qui #forment l'étendue du corps ; puis on prend cette étendue avec le compas ; on la trace de haut en bas, ce qui forme le carré, et on présente son poinçon, les pointes dans les angles de ce carré. Pour des vignettes à palmes, telles que celles-ci , qui s'inclinent en sens contraires, et qui doivent tenir par leurs extrémités toute l'étendue du corps, il faut tracer de même sur le cuivre deux traits qui en marquent l'étendue. On pose le poinçon de manière qu'il touche par un bout le trait d'en bas, et qu'il réponde de l'autre au trait d'en haut : on fait la même chose pour le pendant, mais en sens contraire. Ce mécanisme simple rend la frappe juste et précise, tant pour ces objets que pour les autres du même genre.

La frappe des gros caractères est plus pénible, parce que le cuivre opposant une trop forte résistance, on est obligé de le mettre au feu et de le faire chauffer plus ou moins, pour le rendre plus souple : en général, il ne faut pas qu'il soit chauffé jusqu'à devenir rouge, parce que pour lors le poinçon chasse le cuivre sur les côtés, et rend l'ouverture de la matrice plus large que le poinçon. On doit donc #faire peu chauffer le cuivre, et pour cela s'y prendre plutôt à deux fois, s'il le faut. On empêche encore par ce moyen, que le feu ne forme de trop fortes scories au fond de la matrice, qui se trouve noir quand on la frappe à chaud, au lieu qu'il soit rouge lorsqu'elle a été frappée à froid ; mais cela ne fait rien pour la fonte : d'ailleurs il y a un moyen de nettoyer le fond de la matrice, voici comment on y procède. Lorsque la matrice a été frappée à chaud, on prend de l'eau forte mêlée d'un quart d'eau naturelle ; on met de cette mixtion dans l'œil de la matrice ; on l'y laisse jusqu'à ce que l'ébullition soit faite, et que cette liqueur soit devenue verdâtre. Quatre ou cinq minutes suffisent pour que le fond de la matrice soit dégagée du noir des scories. On pose ensuite la matrice dans une cuvette d'eau naturelle, on la frotte avec une brosse, on la laisse sécher, puis on remet le poinçon dedans ; et en le frappant de quelques légers coups de masse, il rend le poli à l'aide de la matrice.

Une autre manière, qui est à la vérité un peu plus longue, mais qui réussit beaucoup mieux, est de mettre une mixtion de bon vinaigre #et de sel ordinaire ; trois ou quatre pincées suffisent pour un demi-verre. On fait entrer de cette liqueur dans l'œil des matrices, que l'on remet au feu jusqu'à ce qu'elles soient rouges ; puis on les plonge dans de l'eau froide, où le départ des scories se fait sur le champ. La matrice retirée de l'eau, sans être entièrement refroidie, est remplie de nouveau par la même liqueur : s'il reste quelques parties de scories, on les détache avec la pointe d'une épingle, pendant que la liqueur est encore dedans ; après quoi on la brosse dans de l'eau fraîche. La matrice, qui a repris par là sa couleur naturelle, étant séchée, reprend aussi son poli par le moyen du poinçon, que l'on y frappe légèrement de nouveau.

Les grandes lettres, comme les grosses et moyennes de fonte, etc. sont d'une très grande difficulté à frapper, parce que, comme je viens de le dire, le cuivre chaud s'étend sous le poinçon au lieu de se laisser creuser : il faut donc faire cette frappe peu à peu ; voici comment on en vient à bout. On commence par faire prendre à froid au cuivre une empreinte du poinçon, qui y trace sa figure ; puis, avec des #ciselets, on enlève adroitement les parties du cuivre en creusant les traits. On frappe de nouveau le poinçon dans la matrice, pour marquer les parties que l'on peut encore enlever au ciselet, et même à l'échoppe, qui est une espèce de burin ; et quand on a suffisamment creusé et équarri le fond, pour lors on fait rougir ce cuivre, et à grands coups redoublés d'une forte masse, on enfonce le poinçon, qui polit et unit les hachures des outils, et laisse son empreinte.



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