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#Des poinçons et contrepoinçons |
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Le poinçon est
la figure de la lettre, taillée sur une tige d'acier. Pour le faire, il faut choisir
de l'acier d'une bonne qualité, de grosseur convenable aux objets que l'on se
propose de tailler dessus. L'acier doit être sain et sans paille : celui
d'Allemagne est préférable à celui d'Angleterre ; ce dernier est trop fin
et trop cassant pour ce genre d'ouvrage. |
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Pour faire le
poinçon, l'on commence par le contrepoinçon, qui et la figure
intérieure de la lettre. Il faut tailler d'abord cette figue sur une petite tige d'acier,
dans le sens naturel, telle qu'on la voit représentée sur le papier. En voici quelques
exemples avec les lettres à côté :
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#Il
y a des contrepoinçons qui servent à plusieurs lettres : cette figure
, par exemple, sert pour les d, b, p, q ;
celle-ci pour les h, n, u. Il en est de même de plusieurs autres.
Les lettres qui n'ont point d'intérieur, comme les i, I, l, r, et autres de même espèce,
n'ont pas besoin de contrepoinçon : leurs poinçons se taillent seulement à la lime.
Quant aux autres, il leur en faut nécessairement : on ne viendrait jamais à bout,
avec d'autres outils, de creuser la lettre aussi uniment et aussi parfaitement.
C'est de la précision du contrepoinçon que dépend la perfection de la forme de la lettre.
Pour s'assurer de sa perfection, on la frappe avec une petite masse sur du plomb ou sur du métal
servant à la fonte des caractères. Après avoir enlevé sur ce métal, avec un canif bien tranchant,
les rebords occasionnés par le refoulement qu'a fait la pression, l'on dessine la lettre
à l'entour, avec une pointe à tracer ; puis dessus l'on présente le calibre
dans lequel cette lettre doit entrer : on voit par là si elle est bien formée
et de grandeur convenable. On augmente, on diminue et on retaille ce contrepoinçon,
jusqu'à ce qu'on le juge dans l'état# où
il doit être pour remplir le calibre dans la dimension convenable à la figure de la lettre
que l'on veut faire. |
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Lorsque l'on a
plusieurs contrepoinçons de faits, on les durcit par la trempe, pour les mettre
en état d'agir sur des poinçons.
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Les poinçons sont
des tiges d'acier, coupées d'une même longueur, laquelle est d'environ deux pouces,
que l'on fait recuire dans un feu ardent. Lorsqu'ils sont rouges comme le feu, on
étouffe le tout, en mettant un couvercle sur le fourneau, et on les laisse ainsi refroidir.
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Il y a une autre manière de faire recuire l'acier, pour le rendre encore plus doux
et plus aisé à travailler, surtout pour les objets d'ornements, où il faut
employer le burin.
On met les morceaux d'acier dans un creuset ; et l'on en remplit les interstices
avec de la suie de cheminée ; le creuset, d'un couvercle et
lutté avec de la terre grasse, est mi au feu ; et, lorsqu'il est bien rouge,
on le laisse dans le même feu, où il se refroidit peu à peu. Ces opérations rendent l'acier plus doux, plus malléable, et font qu'il résiste moins
à l'effort #du contrepoinçon ou du burin.
Alors on dresse un des bouts de cette tige d'acier, en passant une lime dessus ;
on met cette tige dans un tas percé d'un trou carré d'environ un pouce et demi,
où elle est fortement retenue par deux vis ; on présente le contrepoinçon dessus,
et on l'enfonce dedans à coup de masse :
le contrepoinçon y laisse son empreinte, qui est la principale partie du poinçon. |
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Cette empreinte, ou profondeur d'œil, peut être d'un quart de ligne géométrique
pour les petits caractères, et toujours en augmentant de profondeur,
à mesure que la figure des lettres est plus grande. C'est la mesure que nos
anciens maîtres ont suivie pour la profondeur de leurs caractères, et elle a été
regardée comme suffisante, puisque lesdits caractères ont toujours servi avec le même
succès. |
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Depuis quelques années, on en a gravé en
Hollande dont la profondeur de l'œil
est plus étendue ; à la vérité il n'en résulte point d'inconvénient, mais
il n'en revient non plus aucun avantage. Cependant quelques personnes ont vanté
cette profondeur extraordinaire comme une chose fort essentielle.
Cela serait bon, si #les caractères s'usaient comme certaines choses, dont on fait
usage tant qu'il reste quelques parties qui subsistent ; mais ils ne sont pas
dans ce cas-là : ils conservent toujours leur hauteur et leur profondeur d'œil,
à l'exception seulement d'un petit affaiblissement, de l'épaisseur d'un papier,
qui se fait peu à peu par l'affaissement des traits qui, étant arrondis,
n'ont plus la finesse qui leur convient. Par là, le caractère est usé,
quoique l'œil reste avec la profondeur qu'il avait d'abord, à cette légère
différence près. Il s'ensuit que les caractères, plus ou moins profonds, sont usés et
renvoyés au creuset, les uns et les autres, avec la même profondeur qu'ils avaient
lorsqu'il étaient neufs, à l'exception seulement de ce petit affaiblissement,
qui leur est commun. un caractère dont la profondeur est extraordinaire,
n'est donc pas de plus de durée que celui qui a une profondeur convenable. |
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Mais, dit-on, un caractère dont l'œil est profond n'est pas aussitôt rempli
par l'encre qu'un autre qui l'est moins. On répond à cela par une vérité reçue,
c'est que l'œil du caractère ne doit jamais être rempli par l'encre :
lorsque #ce cas arrive, c'est une marque que cette encre est graveleuse, et par
conséquent mauvaise, puisqu'en disposant le caractère à se remplir, elle en
grossit et en épaissit les traits ; ce qui ne doit jamais
être toléré dans une imprimerie. Il ne faut pas alors rejeter sur le caractère
le défaut de l'encre, comme on le fait quelquefois : c'est ce qui m'a
engagé à faire ces remarques. |
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Je dis donc que l'œdes petits caractères, depuis la Nompareille jusqu'au Petit-romain
ou Cicéro, doit avoir environ un quart de ligne de profondeur, et plus si l'on veut ;
cela est sans conséquence.
Je l'ai pratiqué à l'égard de quelques-uns de mes caractères, pour satisfaire ceux qui
pourraient aimer cette profondeur extraordinaire, que je regarde comme
inutile. mais il faut aussi que les caractères aient la profondeur marquée ci-dessus, et plus à
proportion que le caractère st plus gros : autrement, cette profondeur étant trop près de la
superficie de la lettre, le foulement du papier pourrait y faire refluer l'encre et en prendre
la teinte ce qui serait un grand défaut. |
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Le graveur a encore une chose essentielle à observer ; c'est de ne point
donner trop de #talus aux lettres, soit dans l'intérieur par le
contrepoinçon, soit à l'extérieur par la lime.
Ce défaut procure au caractère, à mesure qu'il s'use, un épaississement désagréable. |
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Le poinçon ayant reçu l'empreinte du contrepoinçon, il s'agit après cela de
dégager la lettre de la masse qui l'environne. Cela se fait d'abord avec une
grosse lime qui sert à dégrossir ; ensuite, au moyen de limes plus petites, on
approche de la lettre de plus près, en tenant le poinçon appuyé sur une petite
avance de bois adhérente à l'établi ; puis on pose ce poinçon dans une équerre
de deux pouces de haut, que l'on présente sur la pierre à l'huile, pour polir
le poinçon. Cette équerre est nommée équerre à polir :
elle peut être de bois revêtu par dessous d'une lame de fer, qui la rend plus solide.
On présente le poinçon, toujours du même côté, dans cette équerre, afin qu'il tombe dans le même
à plomb sur la pierre à l'huile : on l'assujettit dans l'angle de l'équerre
avec le pouce de la main droite ; puis, des deux mains, on promène sur
la pierre l'équerre et le poinçon tout à la fois. Par ce moyen,
la face de la lettre s'unit, se dresse et se polit
#à mesure que l'on réitère les frottements. |
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Si le contrepoinçon, qui est taillé un peu en talus, est trop enfoncé, il laisse une
ouverture trop grande, qui n'est point d'accord avec le calibre dans lequel il doit
entrer. Il faut donc limer cette et polir cette surface peu à peu, en taillant à
mesure les contours, jusqu'à ce que le poinçon ait acquis la grandeur,
l'épaisseur des traits et la forme convenables. On juge de la grandeur par le
calibre, et de l'égalité des traits par un poinçon fini au degré où
on le souhaite, et qui sert de pièce de comparaison, en le présentant toujours
à côté du nouveau que l'on fait. |
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Les lettres m, M sont celles qui servent de modèles, la première pour les
minuscules, l'autre pour les capitales. Au reste, on ne peut pas s'assurer de la perfection
du poinçon que par une empreinte : car étant tous taillés à rebours, de cette
manière , il en résulte un point de vue différent de celui qu'offre
le sens naturel ; outre que le poli de l'acier séduit de façon que tel poinçon qui, à la
vue, parait admirable dans ce sens, ne l'est point du tout à l'empreinte. Pour
avoir cette empreinte,# on présente le poinçon à la flamme d'une bougie,
afin de l'échauffer et de lui ôter, outre l'huile qui est dans l'œil, un peu d'humidité
causée par la fraîcheur de l'acier ; puis on l'essuie avec un linge, ensuite on le présente
à la fumée de la bougie ; il en reçoit une teinte d'un beau noir : alors
on l'appuie sur une carte un peu mouillée, ou humectée par l'haleine ;
il y laisse, avec la plus grande propreté, la teinte de noir dont il était chargé. La lettre
étant pour lors dans le sens où elle doit être vue, on juge de sa
perfection ou de ses défauts. |
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Comme il y a toujours quelque chose à rectifier après la première empreinte, on fortifie
les traits trop faibles, en repassant de nouveau le poinçon sur la pierre à l'huile ;
on diminue les autres avec la lime et si l'intérieur demande quelques dégagements,
on coupe les parties qui ont besoin d'être élaguées, avec un petit instrument d'acier,
pointu, tranchant et trempé sec, nommé pointe tranchante.
Cette pointe n'excède guère le manche que de trois ou quatre lignes, afin qu'elle ait plus de
force. Celles qui m'ont le mieux réussi sont faites de
#la moitié d'une petite lime d'Angleterre,
dite demi-ronde, qui porte environ un pouce de long. Ces petites limes, trempées fort sec,
se cassent facilement : on fait entrer le morceau par le bout cassé dans un manche à
longue virole, et on l'y retient avec de la cire d'Espagne. Le bout pointu s'aiguise et
devient tranchant, au moyen de la pierre à l'huile. C'est ainsi que peu à peu l'on parvient à
donner aux poinçons la forme, la grandeur et la grâce convenables. |
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On emploie les mêmes moyens pour graver les calibres grecs, hébreux, syriaques, arabes et autres,
à la différence de la taille des calibres près, qui doivent être réglés par la nature des caractères.
L'hébreu, par exemple, qui n'a point de majuscules, n'est composé que de lettres courantes, dont
quelques-unes seulement ont des queues, lesquelles excèdent peu la figure des autres lettres, qui sont
grosses et mattes, et qui laissent, et qui laissent peu d'intervalle entre les lignes. Les lettres courantes
du grec, au contraire, sont une fois plus petites que les lettres hébraïques du même corps, parce que
le grec renferme, comme le #caractère romain, des majuscules, des
lettres courtes, des lettres longues, et des lettres pleines en différents sens. Il en est de même des
autres caractères orientaux, qui diffèrent autant par leur figue que par leurs dimension. C'est au
graveur à saisir l'esprit et le goût du caractère qu'il doit graver, afin d'y conformer, avec intelligence,
la talle de son calibre, pour les raisons que j 'ai alléguées i-dessus. Quant à la plus elle figure qu'il
est possible de donner aux caractères, elle ne peut se décrire : cela dépend du goût et de
l'intelligence du graveur, et c'est aussi ce qui constitue sa capacité ou son ignorance. En général, il
ne dit rien faire qu'il n'ait de bons principes sur la meilleure forme des lettres,
ou de bons modèles devant lui pour en prendre le goût et y faire les changements qu'il croit nécessaires,
comme on a fait depuis quelques temps, par exemple, pour les lettres capitales, dont on équarrit
les angles, pour leur donner plus de légèreté, au lieu qu'ils étaient ci-devant un peu cintrés, ce qui
rendait les lettres plus lourdes à l vue. On en fait de même à tous les angles des
lettres minuscules. |
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