Manuel typographique de Fournier, tome II, 1766
p. i-xliv.

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Avertissement préliminaire


# Avertissement préliminaire

Pour rendre cet ouvrage plus intéressant aux yeux des GENS DE LETTRES, et pour remplir en même temps la partie qui les regarde, annoncée par le titre, je donne dans ce second volume un exemple des différents caractères qui sont ordinairement d'usage dans l'imprimerie, sans oublier aucune des nuances qui servent à les faire distinguer.

Cette partie de l'art typographique, qui entre dans l'ordre des connaissances analogues à celles des gens de lettres, est communément fort négligée ;# ceux même d'entre eux qui se piquent le plus de connaître les livres, sont souvent très embarrassés lorsqu'il s'agit de donner une idée juste du caractère avec lequel ils sont imprimés ; ordinairement les noms leur manquent ; quelquefois ils les estropient, mais souvent ils emploient des expressions équivoques, en disant que tel livre est imprimé en gros ou en petits caractères, ce qui ne présente qu'une idée vague et indéterminée qui ne signifie rien ; car un Cicéro, par exemple, qui est le caractère le plus en usage dans l'imprimerie, est gros par rapport à la Nompareille ou à la Parisienne, et très-petit relativement au gros ou au petit Canon.

J'ai donc lieu d'espérer que les gens de lettres recevront avec plaisir les #échantillons que je leur présente : on voit au-dessus de chaque caractère le nom qui sert à les distinguer les uns des autres ; rien n'est donc plus aisé que d'apprendre à connaître leur nature, et à les indiquer d'une manière précise par leur nom.

Pour connaître à la seule inspection d'un livre le nom du caractère avec lequel il est imprimé, il faut avoir un usage qui n'appartient qu'aux personnes de l'art. Voici le moyen d'y suppléer : il ne s'agit que de chercher dans ce volume l'exemple qui paraîtra de la grosseur du caractère que l'on veut connaître, et de présenter un certain nombre de lignes de l'un sur pareil nombre de l'autre ; si ces lignes se trouvent également distantes et se rencontrent juste par en haut et par en bas, on #aura le nom du caractère dont on désire la connaissance, par celui qui est au-dessus de l'exemple. Ces mesures se prennent encore plus juste avec un compas, en observant de commencer par l'extrémité supérieure des lettres longues, c'est-à-dire, des d, I, M, etc. de la ligne d'en haut, et de finir par l'extrémité inférieure des g, p, q, etc. pour celle d'en-bas ; on portera cette mesure, avec les mêmes précautions, sur les exemples du présent volume, et on s'assurera par-là du nom du caractère que l'on cherche à connaître.

Les caractères s'emploient communément sur leur corps naturel, quelquefois cependant ils sont interlignés, c'est-à-dire qu'on met entre chaque ligne un corps étranger, qu'on nomme interligne, pour les élaguer. On reconnaît# le corps naturel du caractère lorsque les queues des p, q, d'une ligne avoisinent de très près celles des b, d, de la suivante, etc. ; au contraire, lorsque ces queues s'éloignent de l'épaisseur de deux ou trois cartes, pour lors le caractère est interligné ou fondu sur un corps supérieur, comme pourrait être un œil de Petit-romain fondu sur le corps de Cicéro, ce qui revient au même.

Comme il n'est pas moins important à ceux qui veulent avoir une juste idée de l'exécution typographique d'un livre, de connaître la grosseur du caractère avec lequel il est imprimé, que d'en connaître la grandeur du format, il serait à souhaiter que les auteurs des ouvrages périodiques voulussent se donner la peine d'annoncer le caractère# en même qu'ils indiquent le format ; ce qui se ferait en disant tel livre est in-12 ou in-4o, imprimé en Cicéro, Saint-Augustin, Gros-romain, etc. ; on aurait par là une idée exacte de l'un et de l'autre. Comme il y a de grands et de petits formats, ainsi que des caractères gros et petit œil, on pourrait pousser l'exactitude jusqu'à faire cette distinction : par ce moyen, les savants et la plupart des lecteurs se familiariseraient sans peine avec les caractères, ils apprendraient en peu de temps à distinguer leurs noms et leurs grosseurs ; connaissance utile qui est de leur ressort, et qui doit leur être aussi familière que l'est à un artiste la connaissance des instruments dont il faut usage.

Ce volume est divisé en six articles.

#Le I. contient un exemple de caractères, tant romains qu'italiques, dont on se sert ordinairement pour l'imprimerie, avec les différentes nuances de grosseur qui les font distinguer, comme petit-œil, œil ordinaire, œil moyen, gros œil, œil hollandais, œil serré et œil poétique. Ces dénominations annoncent des lettres un peu plus ou un peu moins nourries et étendues, quoique sur le même corps ; ce qui fait que vingt lignes d'un petit œil tiennent la même étendue en hauteur que vingt autres de gros œil : il arrive seulement que les lignes paraissent d'autant plus rapprochées sur elles-mêmes que l'œil est plus gros.

Ces différentes nuances d'œil ou de grosseur des caractères sont faites autant pour l'agréable que pour l'utile. #Le petit œil laisse plus d'intervalle entre les lignes, ce qui leur donne un air plus léger et plus gracieux, mais il est plus fatiguant pour une vue délicate ; l'œil ordinaire tient le milieu entre l'agréable et l'utile ; l'œil moyen est d'une nuance plus forte, qui rend le caractère plus lisible, avantage que le gros œil rend encore plus sensible ; mais les lignes étant plus rapprochées les unes des autres, les pages prennent un air trop matériel. Pour diminuer cette pesanteur, les Hollandais ont imaginé de faire ces sortes de caractères gros œil, maigres et allongés.

J'ai gravé deux nouvelles nuances de ces caractères : je nomme l'un œil serré  il est formé de lettres un peu moins arrondies, de sorte qu'en présentant un œil à peu près ordinaire et #nourri, il contient cependant plus de lettres dans la même ligne. L'autre, que j'appelle poétique, est également moins arrondi mais il est plus petit et moins nourri ; les lettres longues, ainsi que les capitales et autres, sont allongées, ce qui produit une distance convenable entre les lignes, pendant que les lettres plus rapprochées à côté les unes des autres, laissent la liberté de composer de grands vers sans être obligé de les partager en deux lignes, ni de donner trop de largeur au format. J'ai employé cette sorte de caractères pour le premier volume de cet ouvrage.

De quelque nuance que soient les caractères, c'est toujours de la tige qui porte les lettres qu'ils prennent leur nom ; un caractère de Petit-romain, par exemple, fondu sur le corps de #Cicéro, retient le nom de Cicéro : cela se fait pour élaguer les lignes sans être obligé d'employer ce que l'on appelle des interlignes.

Les auteurs, imprimeurs ou libraires, qui voudront choisir dans ce volume un caractère pour l'impression de quelque ouvrage, pourront l'indiquer par la tige ou par le numéro marqué en tête.

L'article II. contient ce qui regarde les ornements de l'impression, comme vignettes ou ornements de fonte, lettres de deux points, simples et ornées, réglets, filets, crochets, et quelques figures d'usage, le tout distingué par numéros.

Le III. représente les modèles de divers caractères propres à quelques pays, d'un usage particulier ou ancien.

#Le IV. renferme les exemples de différents caractères orientaux.

Le V. comprend les notes de musique et de plein-chant.

Le VI. offre les modèles de figures que l'esprit humain a inventées pour exprimer les idées, en nous présentant une suite des alphabets de chaque langue. Mon dessein n'a point été de donner les changements et les variations qui se trouvent dans les caractères d'une même espèce, et qui viennent de l'habileté plus ou moins grande de la main qui les a formés dans les différents âges, mais seulement la figure qui constitue la nature du caractère propre à une langue en particulier, ou que le caprice a fait imaginer.

Je n'ai d'autre mérite, pour cet article, que celui de compilateur, à #moins qu'on ne me tienne compte d'avoir choisi, dans les différents monuments que j'ai consultés, les plus belles formes de lettres que j'ai dessinées avec le plus grand soin.

J'ai consulté dans cette vue la plus grande partie des monuments, imprimés ou manuscrits, qui traitent de caractères, tels, par exemple, que le Traité des langues, par Colletet, imprimé en 1660. Libro di M. Giovanbattista Palatino, imprimé à Rome en 1545, contenant des modèles de différents caractères anciens et modernes ; livre curieux pour les artistes, en ce que les exemples, qui sont bien rendus, sont gravés en bois.

Essemplare di più sorti di lettere di M. Gio. Francesco Cresci Milanese, scrittore in Venetia, in-4o. imprimé à #Venise, par F. Rampazetto en 1575, et dédié à S. Charles Borromée. Les exemples des caractères sont gravés en bois.

Arte de escrivir de Francesco Lucas, dédié à Philippe II. Roi d'Espagne, imprimé à Madrid en 1580, vol. in-4o aussi gravé en bois. La plupart des alphabets sont gravés en creux dans le bois, ce qui fait que les lettres sont blanches sur un fond noir.

Alphabeta et characteres, jam inde à creato mundo ad nostra usque tempora, par J. Théodore et J. Israel de Bry, frères, imprimé à Francfort en 1596, gravé en taille-douce. Le Champ fleury, par Geoffroy Torry, imprimé à Paris en 1526. Un manuscrit contenant l'alphabet des anciennes langues, qui se trouve à la suite d'un exemplaire #du Champ fleury, appartenant à M. le Duc de la Vallière. La Diplomatique. Une table de différents caractères anciens, par Édouard Bernard, augmentée par Charles Morton à Londres, et gravée en taille-douce par J. Gibson en 1759.

Traité sur la fonderie, l'imprimerie et les langues anciennes, par Christian Frédéric Gessner, imprimeur à Leipzig en 1742, 3 vol. in-12 en allemand. Divers autres livres d'écriture faits en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Angleterre, ainsi que d'autres ouvrages qui traitent des lettres.

Ces auteurs ne sont pas toujours d'accord sur la dénomination de quelques caractères qui, étant en usage dans des contrées étendues, ont pris le nom de différentes peuplades qui les #habitaient, ou les avoisinaient. Par exemple, il y a des alphabets intitulés iduméen, nommé autre part premier alphabet samaritain ; chaldéen—judaïque ou cananéen, ou de Palestine  gothique—runique ou get ; babilonien—chaldéen ou maronite ; assyrien—phénicien, etc. Ces différents noms appliqués à une même forme de caractères pourraient être l'objet d'un examen critique. J'ai appliqué aux alphabets les noms qui m'ont paru le plus autorisés.

Comme cette VIe partie est plutôt un objet de curiosité qu'une étude approfondie sur la nature de chaque sorte de caractère, je me suis borné pour l'ordinaire à la simplicité de l'alphabet, en le dégageant des variantes, qui sont d'autant plus inutiles à #mon dessein, qu'elles occasionnent de la confusion, en ce qu'elles se trouvent répétées dans d'autres alphabets qui en dérivent ou qui ont une source commune, comme celles qui viennent du grec ou du latin. Par exemple, les lettres ioniennes pour le grec, les latines, francisques, saxonnes, gothiques, etc. pour le latin, sont presque toutes semblables ; les différences légères qui s'y trouvent paraissent venir plutôt de la main plus ou moins habile des différents écrivains que de la nature même du caractère, qui était ordinairement le même. J'ai donc choisi dans ces variantes la figure de lettre qui ma paru la plus analogue au génie de chaque sorte d'écriture.

Je dois marquer ici la reconnaissance que je dois à plusieurs de mes confrères,# messieurs Breitkopf à Leipzig, Hérissant, Cappon et mon frère aîné à Paris, qui ont bien voulu me prêter quelques caractères de leurs fonderies pour rendre cette collection plus complète et plus digne d'être présentée au public.

Il convient au sujet que je traite, de donner un état des principales fonderies dans lesquelles l'imprimerie puise ses trésors. L'Europe, qui seule en possède, n'en a qu'un assez petit nombre, parce qu'elles sont le fruit de longs travaux ou de grandes recherches ; ce qui donne à ceux qui en sont possesseurs un état libre, dégagé des entraves de ce qu'on appelle maîtrise ou réception. Je ne parlerai point de quelques fonderies subalternes, qui se trouvent en différents endroits ; elles ne #méritent point le nom de fonderies, soit par le peu d'habileté de ceux qui les ont faites, soit par le petit nombre de caractères qu'elles renferment. S'il m'arrive d'en citer quelques-unes de ce genre, c'est qu'elles se trouvent uniques dans une ville ou dans un royaume.

Des principales fonderies de caractères
qui sont en Europe

La France a été, si j'ose m'exprimer ainsi, la mère nourrice de presque toutes les anciennes fonderies de l'Europe : c'est des mains de ses artistes que sont sorties les plus grandes et les plus précieuses productions qui ont servi à les former dans leur origine. Je commence donc par les fonderies de France.

#F R A N C E

Parmi les fonderies qui existent aujourd'hui en France, celle dont l'origine remonte le plus haut est la Fonderie du roi. Elle a été commencée sous François Ier. Ce prince fit graver, par Garamond, trois caractères grecs, qui restèrent sous la garde de Robert Estienne : ces caractères furent suivis de plusieurs autres, tant romains qu'italiques, accompagnés des moules nécessaires.

Les premiers fonds de cette fonderie, qui consistaient en poinçons et matrices de plusieurs caractères grecs, romains, italiques, avec les moules d'assortiment, étaient un dépôt confié à la garde d'un directeur, qui faisait fondre sur les moules et matrices du #roi, les caractères dont l'Imprimerie royale avait besoin : on confiait à un fondeur de Paris les moules et matrices du caractère dont on voulait faire usage ; il en donnait son reçu, qui lui était rendu à la fin de l'ouvrage. Ce qui manquait pour lors dans cette fonderie, était fourni par le fondeur chez lequel le caractère était choisi.

Au commencement de ce siècle, cette fonderie prit une nouvelle existence, qui l'a rendue mémorable pour toujours. Vers 1693, Louis XIV donna ordre que l'on gravât de nouveaux caractères qui rendissent la fonderie la plus belle qu'il fût possible. L'Académie des Sciences, consultée à cet effet, choisit quelques-uns de ses membres, savoir, Mrs Jaugeon, Desbilettes, et le Père Sébastien Truchet, pour donner# les modèles des lettres ; elles furent exécutées, quant à la partie de l'art et du goût, par Philippe Grandjean, premier graveur du roi en titre pour l'Imprimerie royale, auquel succéda le sieur Alexandre. La suite des caractères de cette fonderie est continuée par M. Louis Luce, troisième graveur du roi, en exercice actuel. M Grandjean, qui travaillait aux progrès de cette nouvelle fonderie, en avait aussi la garde ; il la conserva toujours dans les différents endroits qu'il occupa, et en dernier lieu dans sa maison, près l'Estrapade, à l'entrée de la rue des Postes, d'où elle fut transportée au Louvre en 1725, pour être réunie à l'Imprimerie et former une typographie complète.

Cette fonderie, formée avec une #dépense vraiment royale, reçoit tous les jours des accroissements nouveaux ; on y trouve jointes à l'utilité toutes les choses qui ne sont que d'agrément ; en un mot il ne manquerait rien pour la rendre la plus précieuse de l'univers, si elle possédait encore les caractères grecs de Garamond, dont la perte est irréparable, et si elle avait des caractères orientaux. Ils feront, sans doute, par la suite, l'objet du travail des graveurs attachés à cette célèbre fonderie, dont l'usage n'est que pour le service du roi.

Parmi les fonderies particulière qui existent en France, la plus ancienne est celle qui fut commencée en 1552 par Guillaume le Bé, célèbre graveur. Il l'enrichit de ses travaux et de ceux de ses confrères, il #acheta la plus grande partie des poinçons et matrices qui provenaient de la fonderie du célèbre Garamond, à l'inventaire de laquelle il fut nommé arbitre en 1561. Guillaume le Bé son fils, l'augmenta aussi par ses travaux et ses recherches. Elle passa à Guillaume le Bé son fils, 3e du nom, après lui à sa veuve, qui mourut en 1707 ; ensuite à quatre de ses filles, qui continuèrent de la faire valoir avec honneur pendant plus de 25 ans, sous la direction de feu son père. Enfin elle a passé entre les mains de M. Fournier l'aîné, mon frère, qui l'acheta en 1730. Il soutient par ses talents la réputation de cette célèbre fonderie, joignant l'art de la gravure à celui de la fontes des caractères.

Les premiers maîtres de cette fonderie,# aussi curieux qu'intelligents, ont rassemblé et conservé beaucoup de matrices des anciens caractères dont on faisait usage dès l'origine de l'imprimerie.

Les commencements de la seconde fonderie remontent vers 1596, ils sont dus à Jacques de Sanlecque, célèbre graveur et fondeur, élève de G. le Bé ; elle fut augmentée par Jacques de Sanlecque, son fils, qui avait les mêmes talents. Celui-ci la laissa à son fils, Louis de Sanlecque, après le décès duquel elle fut régie par sa veuve, de qui M. Louis Eustache de Sanlecque, son fils, l'a héritée et la fait valoir. Cette fonderie assez bien assortie, joint aux différents caractères des anciens graveurs les productions particulières des deux premiers de Sanlecque.

Dans le dernier siècle, les fonderies #de Paris étaient en beaucoup plus grand nombre qu'elles ne sont à présent ; plusieurs imprimeurs en avaient, et joignaient l'exercice de cet art au leur.

Vers 1670, Jean Cot, fondeur à Paris, acheta plusieurs de ces petites fonderies, et en forma une plus complète. Pierre Cot, son fils, l'augmenta encore par la réunion de plusieurs autres ; après lui, sa mère la fit valoir et la laissa à deux de ses filles. Elle passa en partage à Claude Lamesle, fondeur et libraire. M. Gando a acheté cette fonderie en 1758, et l'a réunie à celle qu'il avait eue de M. Gando son oncle, qui en avait fait graver la plus grande partie des poinçons par un nommé Félix, graveur sur métaux, lequel n'avait que des talents fort médiocres dans cette partie, ayant été réduit à #copier des modèles de caractères des autres graveurs, et ne connaissant rien d'ailleurs dans l'art typographique.

Une autre fonderie, inférieure, à la vérité, à celle dont je viens de parler, mais qui n'est pas sans mérite, fut commencée par M. Loyson, vers 1727. Il avait épousé la veuve Briquet, qui lui apporta en mariage une très petite fonderie ; il l'augmenta par des caractères qu'il acheta en différents endroits, et par d'autres qu'il fit graver. Il l'a cédée à M. Briquet son beau-fils, et celui-ci l'a vendue en 1758 à M. Cappon, fondeur de caractères.

EN 1640, un maître écrivain de Paris, nommé Pierre Moreau, travailla à faire les poinçons et matrices de caractères nouveaux, dans le goût de l'écriture. Il en fit de quatre sortes, savoir,# une grosse et une petite bâtarde, une de lettres rondes, et l'autre de bâtarde brisée. Il en dédia les premières épreuves, en 1642, à Louis XIII qui protégea les talents de ce nouveau typographe en lui donnant un titre d'imprimeur ordinaire du roi, dont il jouit pendant quelques temps ; il imprima plusieurs ouvrages avec lesdits caractères. Le goût de cette sorte d'impression étant passé, comme elle n'était pas d'une utilité générale pour l'imprimerie, Moreau fût obligé de quitter cet art. Ses caractères passèrent à Denis Thierry, l'un des adjoints de la Communauté ; il les joignit à d'autres, et en forma une fonderie, laquelle a passé depuis à messieurs Collombat, père et fils, et a été rachetée en 1763, par M. J. T. Hérissant, libraire et imprimeur.

#Vers 1666, Pierre Esclassant, libraire et imprimeur, rassembla quelques frappes, poinçons et des moules, avec lesquels il forma une petite fonderie, qui a passé à messieurs Thiboust, père et fils, et qui appartient actuellement à la veuve du dernier.

Qu'on me permette de dire ici un mot de la mienne. Je l'ai commencée en 1736, et à peine se trouve-t-elle finie en la présente année 1766 ; c'est-à-dire qu'avec un travail assidu et presque continuel, il m'a fallu 29 années pour la mettre dans l'état où elle est. Je puis dire qu'elle est entièrement l'ouvrage de mes mains, ayant moi-même gravé les poinçons, frappé et justifié les matrices, et fabriqué une partie des moules, tous ceux entre autres qui sont de mon invention : il n'y a #point d'exemples, depuis l'origine de l'imprimerie, qu'une fonderie complète ait été faite par un seul artiste.

À LYON, il y a deux fonderies ; l'une ancienne et bien fournie de frappes de caractères, qui appartient depuis longtemps, de père en fils, à Mrs [de] Lacolonge ; l'autre qui est de peu de conséquence. Voilà les seules fonderies de France qui méritent ce nom.

A L L E M A G N E

L'Allemagne, le berceau de l'imprimerie, a cultivé cet art avec succès, en établissant plusieurs fonderies célèbres, lesquelles sont communément plus riches que celles des autres pays ; parce qu'aux caractères d'usage et communs des autres fonderies, on ajoute ceux qui sont propres au pays, comme# l'allemand dit Fracture et le Schwabacher dont il faut avoir des frappes sur tous les corps.

À VIENNE, il y a deux fonderies, dont une apportée de Venise, appartenant à M. Trattener, fondeur et imprimeur de l'Empereur.

À FRANCFORT sur le Main, il y en a aussi deux ; la plus considérable, qui est très amplement fournie de caractères anciens et modernes, est connue sous le nom de Fonderie luthérienne. Elle appartient à M. Luther, descendant du fameux Luther si connu dans le monde chrétien. Elle est fournie de frappes d'artistes français. L'autre, suivant les épreuves publiées en 1714, appartenait à Jean Henry Stubenvoll.

À LEIPZIG, il y en a trois ; la #première et la plus considérable est à M. Jean Gottlob Emmanuel Breitkopf, fondeur et imprimeur. C'est la fonderie la plus intéressante que je connaisse en Allemagne, par le nombre et la diversité des caractères anciens et modernes, des caractères de musique et des ornements de fonte.

La plus belle des deux autres appartient à M. Hr. Echardt ; elle est assez bien fournie en caractères latins et allemands.

À BÂLE, il y a deux fonderies : la première, qui est considérable par le nombre et la diversité des caractères qu'elle contient, dont une partie sont des maîtres français, et dont on a fait de nouvelles épreuves en 1721, appartenait alors à M. Jean Pistorius, fondeur et imprimeur.

#L'autre, composée de caractères dont la gravure est plus moderne, appartient à M. Haas, très célèbre graveur.

Les autres fonderies d'Allemagne sont les suivantes ; savoir, deux à Halle, deux à Nuremberg, une à Vittemberg, une à Dona, une à Erfurt, une à Brunswick, une à Lunébourg, une à Cologne, une à Ausbourg, une à Prague, une à Stutgard dans le Wirtemberg.

E N   P R U S S E

La Prusse n'avait point eu de fonderie jusqu'en 743, qu'elle en tira une de Brunswick : elle était de peu de valeur, et fut établie à Berlin. Celle-ci se trouvant n'avoir aucun succès, un nommé Kanter en a établi dans la même ville une autre, composée de #quelques caractères des fonderies de messieurs Breitkopf à Leipzig, et de Zinche à Wittemberg ; elle a été augmentée de quelques autres caractères faits par un nommé Gallner, graveur de peu de goût et d'intelligence.

Le roi de Prusse désirant d'établir à Berlin une typographie royale, sur le modèle de celle du roi de France, donna des ordres pour chercher à Paris les poinçons, moules et matrices nécessaires pour une fonderie, premier mobile de cet établissement. M Simon, imprimeur de M. l'Archevêque, consulté sur cette entreprise, composa et imprima en 1741 un Projet d'établissement d'une Imprimerie royale à Berlin, qui fut envoyé au roi, avec le recueil de mes caractères, #destinés à former cette fonderie. Ce projet n'ayant pas eu lieu, le roi fit venir à Berlin un célèbre graveur de la ville de Hague, nommé Jean-Michel Schmidt, avec ordre d'ériger une fonderie royale ; mais les guerres survenues depuis, et la mort de ce graveur, arrivée en 1750, ont suspendu cet établissement.

HOLLANDE ET PAYS-BAS

La Hollande ayant fait de l'imprimerie un des objets principaux de son commerce, a érigé avec soin et à grands frais plusieurs célèbres fonderies.

À AMSTERDAM, Dirk Voskins, célèbre graveur et fondeur de cette ville, s'y forma une fonderie, vers la fin du dernier siècle ; ses caractères sont ronds à la manière de nos grands #maîtres, et très bien gravés : cette fonderie est passée à sa veuve et au sieur Zonen.

Une autre célèbre fonderie d'Amsterdam a été formée par Christophe van Dyck, autre graveur ; elle a passé à M. Jean Bus.

Une troisième fonderie, établie dans la même ville, et non moins belle que les précédentes, est celle d'Isaac Vander Putte : toutes les trois sont très bien fournies en caractères de différentes natures, surtout en caractère flamand qui a été fort en usage dans ce pays, mais qu'on abandonne à présent.

À HARLEM, M. Rudolphe Wetstein, imprimeur à Amsterdam, curieux en caractères, ayant hérité de quelques frappes de caractères grecs que G.# Wetstein son père avait fait graver à Genève, fit augmenter les caractères de la fonderie par le Sr J. M. Fleischman, très habile graveur.

Après la mort de M. Wetstein, arrivée en 1742, messieurs Isaac et Jean Enschede, frères, achetèrent cette fonderie en 1743, et la transportèrent à Harlem pour former une typographie complète, en la joignant à l'imprimerie qu'ils exercent. Cette fonderie a reçu des accroissements considérables, par les travaux et les talents dudit Sr Fleischman, qu'ils ont attaché à leur service.

À LA HAYE, les sieurs R. C. Alberts et H. Vytwerf, ont établi vers 1730, une fonderie dont une partie des caractères ont été faits par J.M. Schmidt, habile graveur.

#À ANVERS, il y a une ancienne fonderie qui a été longtemps célèbre. Elle fut érigée par Christophe Plantin, habile imprimeur, vers 1561. Il vint en France pour acheter des caractères de l'inventaire de la fonderie de Garamond ; Guillaume le Bé lui en vendit aussi, et il en fit graver d'autres par Henri de Tour, de Gand, mais domicilié à Paris. Moretus, son gendre, en ayant hérité, elle a passé de lui à ses descendants jusqu'à M. Moretus, fondeur et imprimeur, qui la possède actuellement. Cette fonderie a beaucoup perdu de son lustre, par le défaut d'exercice, ou par l'ignorance de plusieurs de ceux par les mains desquels elle a passé.

Une autre fonderie d'Anvers appartient à M. Balthazar van Wolffschaten.

#Il y a encore en Hollande la fonderie d'Athias, dite la fonderie juive ; à Leyde celle de Blokmar, et une à Blaeu.

A N G L E T E R R E

L'Angleterre a peu de fonderies, mais elles sont bien fournies en toutes sortes de caractères : les principales sont celles de Thomas Cottrell à Oxford ; de Jacques Watfon à Édimbourg  de Guillaume Caslon et fils à Londres, et de Jean de Baskerville à Birmingham. Ces deux dernières méritent une attention particulière. Les caractères de celle de Caslon ont été gravés, pour la plus grande partie, par Caslon fils, avec beacuoup d'adresse et de propreté. Les épreuves qui en ont été publiées en 1749 contiennent beucoup de sortes différentes de caractères.

#La dernière est plus moderne. M. Baskerville, riche particulier, a établi à Birmingham, lieu de sa résidence, renommé pour les belles manufactures en acier, une papeterie, une imprimerie et une fonderie ; il n'a épargné ni soins ni dépenses pour les porter à la plus haute perfection : les caractères sont gravés avec beaucoup de hardiesse, les italiques sont les meilleures qu'il y ait dans toutes les fonderies d'Angleterre ; mais les romains sont un peu trop larges. Il a déjà publié quelques éditions faites avec ses nouveaux caractères, elles sont de vrais chef-d'œuvres pour la netteté. Quelques-unes sont sur du papier lisse ; quoiqu'elles fatiguent un peu la vue, on ne peut disconvenir que ce ne soit la plus belle chose qu'on ait encore vue en ce genre.

#I T A L I E

Ce pays, qui a contribué à l'augmentation des premiers progrès de l'imprimerie par l'établissement des célèbres fonderies de Venise, ne conserve presque plus rien de sa première splendeur à cet égard. Il y a encore quelques fonderies à Venise, mais elles sont peu estimées. Dans le siècle dernier il y en avait une très précieuse par la beauté des caractères latins et grecs, provenant des maîtres français ; elle appartenait à Deucheni.

Le ville de Rome, autrefois le centre des beaux arts, n'a qu'une fonderie qui mérite d'être connue, c'est celle du Vatican. Elle fut commencée vers 1578, par le célèbre graveur français, Robert Granjon, qui fut appelé #à Rome par le pape Grégoire III. Il travailla sous les ordres du cardinal de Médicis à plusieurs caractères latins, arabes, syriaques, arméniens, illyriens, ou moscovites. Cette fonderie, qui a été négligée depuis, fait partie de la typographie du Vatican.

Le Piémont, ainsi que la Savoie, n'est pas riche en fonderies. Une seule, établie vers 1742 à Turin, et pour laquelle j'ai fourni quelques frappes de mes caractères, suffit pour ces deux pays. Elle appartient à une société de personnes attachées à l'Imprimerie royale.

À Milan, il n'y a qu'une seule et mauvaise fonderie, établie en 1719, par un imprimeur nommé Bellagata, qui acheta les poinçons et matrices d'Ignace-Antoine Keblin, graveur et fondeur ambulant, qui allait de ville #en ville. Elle a passé à trois frères, nommés Sangiusti, dont un ecclésiastique et les deux autres horlogers. Ces deux derniers étant morts, elle est restée entre les mains de l'ecclésiastique.

Il y a environ 20 ans qu'un nommé le Grand, fondeur de caractères et très mauvais graveur, établit sa fonderie à Avignon. Elle a passé à M. Pernot, qui l'a fait augmenter de quelques frappes d'autres caractères.

E S P A G N E

L'Espagne est privée de graveurs en caractères : elle n'a que deux fonderies qui sont à Madrid, l'une appartient aux Jésuites qui l'afferment cinq ou six cents livres ; l'autre fut achetée à Paris en 1748, de M. Cottin, fondeur de caractères, qui la vendit trente mille livres.

#S U E D E

Quoiqu'il y ait en Suède d'excellents médailleurs, il n'y a point de graveurs en caractères qui y soient fixés. J'ai fourni quelque frappes de mes caractères pour une fonderie établie à Stockholm, sous l'autorité du roi, par M. Momma.

D A N E M A R K

Il n'y a point non plus de graveurs de caractères dans ce royaume : deux fonderies établies à Copenhague sont formées en partie des poinçons de M. Breitkopf à Leipzig, et de M. Zincke à Wittemberg.

P O R T U G A L

La ville de Lisbonne a une fonderie qui y a été établie il y a environ 35 ans, par un fondeur de Paris, nommé Devilleneuve.

#R U S S I E

Ce n'est que depuis une quinzaine d'années qu'on a commencé à former quelques fonderies dans ce pays. Les fonderies de Leipzig et de Wittemberg ont fourni aux Académies de Petersbourg et de Moscou quelques frappes pour commencer deux fonderies. Depuis, un graveur assez habile a passé à Petersbourg, où il a gravé plusieurs sortes de caractères, latins, russes, etc. dont on a fait usage dans quelques éditions.

P O L O G N E

L'imprimerie n'est pas en honneur dans ce pays. Le peu d'usage qu'on en fait, ne demande pas beaucoup de fonderies, aussi n'y en a-t-il qu'une fort médiocre à Varsovie.



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