Manuel typographique de Fournier, tome I, 1764
chap. 0, p. v-xxxij.

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# Avertissement préliminaire

Après les choses qui sont de première nécessité pour la vie, rien n'est plus précieux que les livres. L'art TYPOGRAPHIQUE qui les produit rend des services importants et procure des secours infinis à la société. Il sert à instruire le citoyen, à étendre le progrès des sciences et des arts, à nourrir et cultiver l'esprit, et à élever l'âme : son devoir est d'être le commissionnaire et l'interprète général de la sagesse et de la vérité ; en un mot, c'est le peintre de l'esprit. On pourrait donc# l'appeler par excellence l'art des arts et la science des sciences.

* Il y a dans la bibliothèque des Célestins de Paris, un bel exemplaire des Canons de Gratien manuscrit. Celui qui l'a écrit marque qu'il a été vingt et un mois à le faire. Sur ce pied, il faudrait mille sept cent cinquante ans à trois hommes pour faire trois mille exemplaires, qui, au moyen de l'imprimerie, peuvent être achevés par le même nombre d'hommes en moins d'un an.

Avant l'origine de l'imprimerie, les hommes n'avançaient qu'à pas lents dans la carrière des sciences. Ils étaient obligés de les chercher avec des soins assidus, des veilles réitérées, et de les aller puiser, pour ainsi dire, jusque dans le sein de la nature même. À la vérité, plus les recherches étaient grandes, plus les lumières étaient étendues, mais aussi plus il était difficile de les transmettre à la postérité. Après une longue vie employée toute entière à l'étude et à en tracer les fruits sur le papier, un savant laissait des monuments qu'on ne pouvait répéter que par un travail long*, pénible et sujet à# des inconvénients fâcheux. Le temps était trop précieux aux gens de lettres pour qu'ils l'employassent à transcrire leurs ouvrages : ce soin regardait des scribes, trop souvent mal instruits, qui défiguraient les originaux à mesure qu'ils les copiaient, et le mal allait toujours en augmentant, de nouveaux copistes ne manquant jamais d'ajouter des fautes à celles que les premiers avaient faites.

L'imprimerie, regardée à juste titre comme un présent du ciel, pouvait seule y remédier. Elle a été donnée aux hommes pour diminuer leurs peines, soulager leur mémoire et leur procurer# la facilité de se communiquer réciproquement leurs lumières, sans trop de soins ni de dépenses ; et au lieu qu'autrefois dix volumes étaient pour eux une bibliothèque précieuse, à présent ils en possèdent des milliers, les livres les environnent de tous côtés, et ils n'ont qu'à y tendre la main pour y puiser la science qui fait leur objet. Il y a cependant cette différence entre les savants qui ont précédé l'origine de l'imprimerie et ceux d'aujourd'hui : les premiers, dont les bibliothèques étaient nécessairement peu nombreuses, savaient le contenu des ouvrages qui les composaient ; ceux-ci, au contraire, ne connaissent même pas toujours tous les livres qui servent à former les leurs, tant les secours de l'imprimerie ont procuré d'abondance.

#La théorie d'un art si utile ne devrait être ignorée d'aucun de ceux à qui l'usage des livres est familier : il serait à souhaiter que tout homme de lettres fût en état de juger sainement de la mécanique de ses productions ; par là les articles qui s'en occupent, se trouveraient obligés de le respecter assez pour ne le point avilir par des fruits trop communs de leur ignorance et de leur mauvais goût.

Pour donner aux savants une idée de l'art typographique, et pour rappeler en même temps aux artistes des principes qu'ils doivent savoir et leur en apprendre d'autres qu'ils pourraient ignorer, je vais décrire toutes les partie de cet art avec le plus de précision qu'il me sera possible, en évitant certains petits détails qui ne serviraient# qu'à rendre la narration plus longue, sans la rendre plus utile.

L'art de la gravure des caractères n'a jamais été décrit. Nos maîtres dans cette partie ont toujours été si rares, qu'il s'est écoulé des temps fort considérables sans qu'il en est paru un seul en France, et pas un n'a traité par écrit des opérations de son art : c'est ce qui m'a obligé, lorsque j'ai voulu l'exercer, de me former des principes et d'établir des règles dont je rendrai compte dans la suite de cet ouvrage.

*M. Cl. Thiboust, fondeur et imprimeur, mort à Paris en 1737, a fait en 120 vers latins une description poétique de ces deux arts, qu'il a dédiée au roi, et qui a été traduite en français par son fils en 1754. Ce petit ouvrage est plutôt une déclamation poétique qu'un instruction.

La fonte des caractères n'a été connue jusqu'à présent par aucune autre description que par le détail abrégé que j'en ai donné dans l'Encyclopédie, et par une notice insuffisante et imparfaite qui se trouve dans le Dictionnaire du Commerce de  Savary. Ces sortes# de recueils généraux sur l'histoire ou la pratique des arts, sont plutôt destinés à satisfaire la curiosité de lecteurs qu'à fournir des lumières aux artistes ; aussi ne sont-ils pas faits pour ces derniers, qui y chercheraient en vain les détails et les préceptes nécessaires à l'intelligence des parties, que la nécessité a fait abréger ou omettre*.

Plusieurs savants et artistes, comme Lucas Pacioli, Albert Dürer, J.-B. Palatino, Pierre le Bé maître écrivain, et beaucoup d'autres, ont donné différents traités sur la forme et la figure des lettres, plutôt pour la perfection# de l'art d'écrire que pour celle de l'art typographique.

Geoffroy Tory, libraire à Paris, étendit cette matière dans un livre intitulé Le Champ fleuri, qu'il publia en 1526. Il fait descendre les lettres de l'alphabet latin du nom de la déesse Io, prétendant que toutes ces lettres sont formées de l'I et de l'O ; ensuite il fait entrer les lettres en proportion avec le corps et avec le visage humain ; il en dresse des plans pour l'architecture ; il y fait rencontrer le flageolet de Virgile ; il y adapte le nom des Muses, des arts libéraux, etc. il fait des moralités dessus ; enfin il donne ce qu'il appelle la due et vraie proportion des Lettres. Pour cela, il partage un carré en dix lignes perpendiculaires et transversales, qui forment cent carrés surchargés# de beaucoup de ronds faits au compas, le tout servant à donner la forme et la figure des lettres. Il ajoute qu'il est sûr d'avoir des gloseurs et des mordants ; mais, dit-il, je ne les estime la valeur d'un poil.

En 1692, l'Académie des Sciences entreprit la description des arts, dont la typographie devait être le premier, comme étant celui qui conserve tous les autres. La description de cet art fut en effet commencé dès 1693. Malheureusement il n'y avait pas pour lors en France un seul typographe capable de donner des principes certains sur l'art de graver les caractères ; il ne se trouva qu'un nommé Malherbe des Portes, graveur pour la monnaie, qui fut de quelque secours : il était assez adroit mais il ignorait la typographie.

# Mr. Jaugeon, de l'Académie des Sciences, fut chargé par sa compagnie de faire la description de cet art ; on lui donna pour adjoints  Filleau des Billettes et le Père Sébastien Truchet, Carme et mécanicien. Ils trouvèrent sans doute dans les fondeurs et imprimeurs du temps, des secours pour l'explication de leur art ; mais pour le premier et le plus intéressant, qui est celui de la gravure ou taille des poinçons et la justification des matrices, ils en eurent si peu qu'ils furent obligés de chercher dans leur imagination des principes que la connaissance de l'art leur refusait ; et au lieu d'en rendre la pratique aisée par la simplicité des préceptes, ils ont au contraire surchargé l'art de calculs géométriques inutiles et impraticables. La preuve# en est sensible par quelques-unes des planches gravées dès la fin du dernier siècle, que j'ai examinée avec tout le soin dont est capable un homme qui veut s'instruire. J'ai vu lesdites planches chez les libraires qui avaient ordre de les laisser voir au public, il y a quelques années, lorsque l'Académie a repris ce projet de la description des arts.

On vient de voir que Geoffroy Tory divisait un carré, lequel accompagné de ronds servait à former les lettres :  Jaugeon et ses adjoints ont bien autrement multiplié les êtres. Ils divisent ce carré en 64 parties, subdivisées chacune en 36 autres ; ce qui forme une somme de 2 304 petits carrés pour les capitales romaines. Les lettres italiques sont figurées par un# autre carré, oblong et penché, ou parallélogramme, qui souffre encore de plus grandes subdivisions. Que l'on joigne à cela beaucoup de traits ronds faits au compas, par exemple, 8 pour l'a, 11 pour le g, autant pour l'm, etc. on sentira combien cette multiplicité de traits sont inutiles pour former des lettres sur un poinçon d'acier dont l'oeil, pour les caractères le plus en usage dans l'imprimerie, n'est que d'une demi-ligne géométrique de grandeur : l'intérieur des lettres formées par un contrepoinçon est encore plus petit. Pour la seule taille des calibres que je divise en sept parties assez difficiles à prendre pour les petits caractères, on en donne des règles dans une des planches qui sont imprimées , où l'on voit que pour le calibre on divise# la ligne en deux cents quatre parties. Ces règles renvoient à l'idée des infiniment petits, où l'imagination seule peut atteindre ; ce qui fait que pour les rendre sensibles par des exemples, on a été obligés de dessiner les lettres trois ou quatre cent fois plus grandes que le même objet ne doit être représenté sur le poinçon pour les caractères le plus en usage.

*Mémoire de l'Acad., année 1699, p. 118.

M. Grandjean, un des premiers artistes employé quelques temps après l'établissement de ces règles pour graver les caractères de l'Imprimerie royale, s'est arrêté à la première, qui est de consulter les yeux, juges souverains du goût. Son travail ne se sent point de la contrainte des autres, à l'exception seulement de quelques particularités qu'on a données à certaines lettres pour distinguer les nouveaux caractères de cette célèbre imprimerie.

Comment a-t-on pu rétrécir l'esprit et éteindre le goût, en donnant ainsi des entraves au génie par des règles si confuses et si hasardées ? Faut-il donc tant de carrés pour former un O, qui est rond, et tant de ronds pour former d'autres lettres qui sont carrées ? Et n'aurait-il plus été permis à un artiste de varier la forme des lettres tant en hauteur qu'en largeur sous différentes# nuances, ainsi que je l'ai fait, comme on le verra dans le volume des caractères ? Qu'est-il arrivé de ces prétendues règles ? C'est que les modèles que l'on en donne, surtout pour les italiques, sont si grossiers et si imparfaits, qu'ils se sentent de la gêne où ces ronds et ces carrés les tiennent comme enchaînés. Le génie ne connaît ni règle ni compas, si ce n'est pour des parties géométriques. Cela prouve que des personnes qui ne connaissent pas un art, quelque habiles qu'elles soient d'ailleurs, comme l'étaient Messieurs Jaugeon, des Billettes et le Père Sébastien, ne sont pas en état d'en donner des principes. Ces messieurs auraient pu s'en tenir à une règle qu'ils établissent, qui est de consulter principalement les yeux, juges souverains # mais les ayant trouvés un peu incertains dans leurs décisions, ils ont proposé d'autres règles. Enfin, s'étant déterminés sur une chose purement de goût, et par conséquent très délicate, ils ont, disent-ils, trouvé une méthode géométrique, par laquelle les ouvriers peuvent exécuter dans la dernière précision les figures des lettres telles qu'ils les ont réglées*.

Cet esprit de multiplication avait tellement gagné, qu'il s'était étendu jusque sur divers instruments aussi inutiles que confusément composés, et# qui n'ont été inventés que faute de connaître la manière simple et commode avec laquelle nos anciens maîtres faisaient certaines opérations de leur art. Quelques-uns de ces instruments, que j'ai vu représentés sur les planches , sont entre autres une machine composée de huit ou dix pièces principales, destinée à retenir des lettres pour les fumer sur une chandelle et les imprimer, afin de voir si les matrices étaient bien justifiées, ce qu'on a toujours vérifié par de simples instruments connus sous les noms de justification et de jeton ; une autre composée de vingt-cinq ou trente pièces, destinée à frapper les matrices : trois doigts de la main gauche font l'effet de cette machine, d'une manière simple et commode. Une troisième encore plus compliquée# et aussi inutile, était destinée à la justification des matrices. On a toujours eu des manières si simples de procéder dans ces opérations, que l'ignorance seule en a pu faire imaginer de plus difficiles ; aussi n'ont-elles été d'aucun usage par la suite, et sont-elles restées dans l'oubli.

Il est à présumer que les Académiciens éclairés qui ont entrepris de donner la description des arts, dont plusieurs déjà publiés sont décrits d'une manière à leur faire honneur, ne négligeront rien pour rendre celui de la typographie digne de la réputation qu'ils se sont si justement acquise.

Pierre Cot, fondeur de caractères d'imprimerie, voyant le ralentissement de l'Académie pour publier la description des arts, entreprit en# 1710 de donner un traité complet de l'art typographique avec l'histoire générale des alphabets de toutes les nations ; mais sa mort, arrivée en 1712, arrêta cet ouvrage, dont il n'y avait que sept feuilles in-4od'imprimées.

L'imprimerie a été traitée en détail par Dominique Fertel, imprimeur à Saint-Omer : je m'aiderai de son secours et je profiterai de ses lumières dans quelques articles de cette partie.

La typographie, comme on vient de le voir, est divisée en trois parties distinctes et essentielles, à savoir, la gravure, la fonte et l'impression.

* Le typographie, qui à la connaissance de l'imprimerie joint la pratique de la gravure et de la fonte des caractères, exerce un art libre et indépendant. Il peut travailler sans empêchement dans toutes les villes du royaume, même à Paris où, par la simple formalité de se faire enregistrer sur le livre de la Communauté des imprimeurs, on devient membre de leur corps, jouissant en conséquence de tous les droits, franchises et immunités y attachés. La partie de l'art typographique que l'on appelle l'imprimerie est seule sujette à maîtrise, qui ne s'acquière que par Arrêt du Conseil, sans doute à cause des abus qui peuvent résulter de l'impression  c'est pourquoi le nombre des imprimeurs est fixé dans toutes les villes du royaume.
Dans la plupart des autres pays, toutes les parties de la typographie sont également libres.

La pratique particulière de chacune de ces parties forme des artistes de différents genres. Celui qui grave ou taille des caractères est un GRAVEUR ;# celui qui les fond est un FONDEUR, et celui qui les imprime est un IMPRIMEUR ; mais il n'y a que celui qui réunit la science de ces trois parties que l'on puisse appeler un TYPOGRAPHE*.

Il y a eu peu d'artistes du premier genre, un peu plus du second, beaucoup du troisième, et très peu du quatrième, c'est-à-dire, qui aient mérité le nom de typographe. L'imprimerie# n'en compte que trois ou quatre au plus par siècle, qui aient été reconnus pour avoir réunis ces talents avec succès : la raison en est que la science typographique étant fort étendue, elle demande dans celui qui veut l'exercer avec honneur, du génie pour l'invention et des talents pour la mécanique, comme nous allons le voir par le détail de cet art.

Je partagerai cet ouvrage en quatre volumes portatifs. Le premier contiendra la description des deux premières parties de l'art typographique, à savoir, la gravure et la fonte des caractères ; le second [rédaction conforme à l'Errata] rassemblera les modèles des différents caractères,# tant de ceux qui sont d'un usage ordinaire dans l'imprimerie, que de ceux qui ne sont que de curiosité, le troisième, celle de l'impression ; et le quatrième sera un traité sur les typographes, tels que je viens de les distinguer.

Pour rendre cet ouvrage clair et intelligible à tout le monde, j'ai fait graver en taille douce la figure des instruments qui servent à la typographie, auxquels j'ai ajouté une explication détaillée. Il sera nécessaire d'y avoir recours pour la plus grande intelligence de l'art de ces parties.

Je dois ajouter ici un mot sur mes nouveaux caractères de musique.

Je publiai le premier essai en 1756, avec la permission et sous la protection des magistrats qui veillent au bon ordre de l'imprimerie. Cet essai ayant été bien reçu des amateurs de musique cela m'encouragea, et je travaillai de nouveau ces caractères pour leur# donner toute la perfection dont je les croyais susceptibles, excité par une pareille découverte de nouveaux caractères de musique faite en Allemagne, mais d'un autre mécanisme que les miens. De ces deux mécanismes j'en formai un troisième, dont le caractère que j'ai fais paraître en 1760 a été le fruit.

L'Académie des Sciences, à qui j'ai présenté ces diverses opérations, m'en a fait délivrer le certificat ci-joint.

EXTRAITS DES REGISTRES
de l'Académie Royale des Sciences.


Du 18 août 1762

Messieurs de Montigny, de Vaucanson, et moi, qui avions été nommés pour examiner de nouveaux caractères pour l'impression de la musique, inventés et exécutés par  Fournier le jeune, en ayant fait notre rapport, l'Académie# a jugé que cet établissement ne pouvait être que très avantageux, et qu'il y avait tout lieu de croire qu'il serait très agréable au public ; qu'il épargnerait beaucoup de temps, des frais considérables de gravure, et diminuerait par conséquent beaucoup le prix de la musique ; que pour toutes ces raisons il méritait des encouragements aussi bien que l'approbation, et même le voeu de l'Académie pour la prompte exécution. En foi de quoi j'ai signé le présent certificat.
À Paris, le 26 août 1762.

Signé, GRANDJEAN DE FOUCHY, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences.
 

Monsieur Rameau, célèbre Musicien, dont le témoignage est d'un grand poids sur ce point, a aussi donné son suffrage à mes nouvelles productions, par un certificat daté du 14 août 1762.

On aurait lieu d'être surpris de ce qu'une pareille découverte, honorable pour l'imprimerie et avantageuse pour# les imprimeurs, est restée sans exécution depuis 1756, si l'on en ignorait la cause, qu'il est bon de rapporter.

Il y a en France un seul imprimeur à qui on a accordé, de père en fils, depuis plus de cent vingt ans, un privilège exclusif pour l'impression de la musique, avec défense à tous graveurs, fondeurs et imprimeurs, de graver, fondre ni imprimer des caractères de Musique, sous peine de deux mille écus d'amende, etc. De là ce privilège est devenu, contre l'intention des supérieurs, le tombeau sous lequel cette partie de l'art typographique a été ensevelie.

Elle a été perdue, non seulement pour tous les imprimeurs de France, mais aussi pour les privilégiés mêmes, parce que le public, ennuyé de voir# toujours des caractères imparfaits, a tiré des planches en taille-douce les services que l'imprimerie lui refusait ; et les typographes n'ayant plus le droit de s'exercer dans cette partie de leur art, il ne s'en est pas trouvé d'assez généreux pour entreprendre un travail qui leur serait devenu inutile, et même dangereux.

Ce n'est donc qu'après y avoir longtemps pensé et avoir obtenu des magistrats la permission d'agir, que je me suis déterminé à exécuter les nouveaux caractères de musique que j'avais imaginés depuis longtemps, et je les publiais sous leur autorité en 1756 : je les ai perfectionnés depuis, après quoi j'en ai demandé l'usage pour moi, et la permission de les rendre communs aux imprimeurs pour les faire# rentrer dans leurs anciens droits d'imprimer la musique, d'autant plus que ces caractères étant nouveaux, ils ne peuvent être du domaine du privilégié, qui trouvera lui-même dans ceux-ci les avantages que les siens lui refusent.

Les magistrats qui sont à la tête de la Librairie, pour concourir au bien général des arts, dont ils sont zélés protecteurs, ont bien voulu m'obtenir, au mois de mai 1762, un Arrêt du Conseil, qui me donne un titre d'Imprimeur surnuméraire pour la Ville de Paris, lequel est fondé sur les services que j'ai rendus à l'imprimerie par l'invention et l'exécution de différents objets relatifs cet art, qui seront détaillés dans le présent ouvrage. Cet Arrêt du Conseil, honorable# pour moi par son énoncé et par le motif qui l'a fait accorder, a souffert jusqu'à présent quelques empêchements ; mais en attendant son entière exécution, les magistrats, fondés sur les motifs du dit Arrêt, ont bien voulu me permettre d'en jouir en partie, en me laissant imprimer le présent ouvrage.

C'est donc pour me rendre digne de leur bienveillance et de la confiance dont ils m'honorent, que je vais rendre publique la mécanique de mes caractères de musique, pour enrichir notre imprimerie de cet objet de commerce, dont elle est privée depuis si longtemps, et remplir l'idée que j'ai toujours eue de lui être utile.

J'apporterai tous les soins dont je suis capable, pour rendre cet ouvrage# le plus utile qu'il sera possible ; mais comme je n'ose espérer malgré cela d'atteindre le point de perfection auquel je désire de porter l'art typographique, je profiterai avec plaisir des critiques honnêtes et éclairées dont on voudra bien m'honorer.



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