Extrait de Colloque sur l'Histoire de l'Informatique en France, Actes édités par Philippe Chatelin, 2 volumes (461+428 p.), tome 1, p. 375-386 ; Grenoble, mars 1988 ; ISBN 2-9502887-0-7

Une aventure qui se termine mal : la SEA
F.H. Raymond

1. Préambule

Cette communication est divisée en deux parties ; la première a pour titre « ainsi naquit la SEA », la seconde : « les ordinateurs de la SEA ». L'existence de ce colloque me donne en effet l'occasion de rendre hommage à tous ceux qui m'ont rejoint dès 1947-48, les pionniers enthousiastes et confiants et aussi, naturellement, à tous ceux venus ensuite se joindre au noyau initial lequel se structura et s'organisa pour constituer une entreprise industrielle ; pour dire ma reconnaissance aux actionnaires de la SEA et à ses premiers « clients » et tout spécialement à Michel Decker qui venait depuis peu de créer la section « engins spéciaux » du Service Technique Aéronautique et ses premiers collaborateurs, Colombani, Gille, Pelegrin, Mignot. Tel est le but de la première partie.

La seconde partie propose une histoire très schématique de notre activité informatique. Je ne rentrerai pas dans le détail ; idées, innovations, des réussites et des échecs, faute d'avoir eu le temps de consulter la documentation très partielle restée en ma possession. Le livre récent de R. Moreau donne une première idée sur des innovations de la SEA(1).

2. Ainsi naquit la SEA

René Moreau me pardonnera de copier l'excellent titre de son livre (1) !

2.1.

Au printemps de 1947, mon « patron », le PDG de Sadir-Carpentier (2) m'expédiait en mission aux USA. Avec quelles directives et consignes ? Aucune ! J'ai préparé ce voyage tant bien que mal car nous sortions à peine du long tunnel de l'occupation nazie. De nouveaux actionnaires intervenaient dans Sadir-Carpentier comme conséquence de la nationalisation de la « CPDE » (qui distribuait l'électricité à Paris) et ainsi de nouveaux personnages entrèrent dans la société, mais ils n'avaient évidemment aucune expérience professionnelle dans son domaine d'activité.

Aussi mes rapports avec eux ne furent pas bons ! Lorsque à mon retour des USA je proposais à mon Président un certain nombre d'orientations nouvelles, elles furent repoussées par ces nouveaux personnages (3). Je remis ma démission à mon PDG... il la conserva longtemps dans l'un des tiroirs de son bureau et me demanda de patienter. Puis un jour, à la fin d'une réunion avec lui et le représentant de son actionnaire CPDE constatant que la discussion avait été désolante, je lui demandais de me rendre immédiatement ma liberté, rappelant ma lettre de démission qu'il avait conservée.

Il me fallait faire vite car j'avais la charge d'un foyer et je n'avais ni rentes ni fortune. Je m'adresse à A. METRAL qui était alors Administrateur-Directeur Général du constructeur de machines-outils GSP, société dans laquelle Gaz et Eaux avait pris une participation financière, majoritaire je crois bien (comme la CPDE, après la nationalisation « du gaz et de l'électricité » devint actionnaire de Sadir-Carpentier). Je lui explique l'importance pour la machine-outil des activités que je voulais mettre en route. Je rédigeai à son intention une note sur ce qu'on désignera beaucoup plus tard par la commande numérique des machines-outils. Non pas pour lui dire voilà ce qui devrait vous intéresser immédiatement, mais pour le convaincre des buts à atteindre sans indiquer de délais...

A. Métral était habitué à mon langage, la communication entre nous était parfaite et en outre elle était confiante et amicale. Il proposa que le GSP (4) soit actionnaire de la société que je voulais créer : mais avant que cet accord soit acquis, il devait recueillir celui de Claude Desanges, PDG de la Société Gaz et Eaux.

Lorsque Métral prononça le nom Desanges en me conseillant d'aller le voir, je pensais : j'ai de la chance ! En effet, C. Desanges m'avait reçu plusieurs fois durant l'occupation pour lui parler de Sup'Elec et de la Société des Ingénieurs ESE (5). Avant même de le rencontrer j'ajoutais Gaz et Eaux à la liste des actionnaires de la future SEA ! Je lui présentais ensuite mon projet lors d'un premier rendez-vous ; il a dû sourire de la manière directe utilisée en cette négociation en lui demandant de signer l'acte de naissance de la SEA que je lui présentais. Ainsi les choses n'ont pas traîné... et je dessinais le logo SEA :

2.2.

A. METRAL, Professeur titulaire de la chaire de mécanique au CNAM, avait été obligé, durant l'hiver 1941-1942, de se réfugier en Algérie. Plus tard il y fut mobilisé dans l'armée de l'air. Après la libération, il reprit son enseignement de mécanique au CNAM et je devins son assistant puis un an après son chef de travaux. C'est à ce titre que je lui ai proposé d'organiser au CNAM un cycle de conférences sur les « servomécanismes » au cours du premier trimestre de l'année scolaire 1947-1948. La préparation de ces conférences me fit connaître Colombani, jeune ingénieur de l'air, membre de la première équipe des « engins spéciaux » créée peu de temps auparavant par Michel Decker, au service technique de l'Aéronautique. Ainsi connaissant mes projets, Colombani fut un actif artisan des relations professionnelles qui s'établissent alors entre Michel Decker et moi ; l'un et l'autre nous étions enthousiasmés par les perspectives de ce qu'il y avait à entreprendre ; aussi, la SEA démarre-t-elle ses activités avant même son existence légale et elle reçoit un premier marché du service technique de l'aéronautique notifié à la « Société SEA en formation » représentée par moi !

En mars 1984, la société existe légalement ; son capital est de 10 200 000 F et ses associés (elle fut créée sous forme de sarl ; transformée par la suite en Société Anonyme) étaient :
— Société les Ateliers GSP, représentée par son Administrateur Directeur Général, A.R. METRAL. ;
— Société GAZ et EAUX, représentée 'par son PDG Claude DESANGES. ;
— Société RBV, représentée par son PDG, VORMS. ;
— MM RAUBER, R. GIRERD, G. LEMAIRE, F.H. RAYMOND.

Le gérant était GORCE, que j'avais connu quelques années plus tôt et qui étant au courant de mes projets, voulut y être associé. Pourquoi RBV ? R. GIRERD un de mes anciens de Sup Elec (6) avait travaillé avec Vorms (et de France, gendre de Vorms) d'où la liaison.

On remarquera l'absence d'organisme financier dans le capital initial ; « Suez » viendra plus tard après la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Ce ne fut pas un succès ! et pour moi une expérience fort décevante d'un cas typique où les actes ne sont pas en conformité avec les paroles, ainsi dire être intéressé par les projets à long terme et très rapidement ne s'intéresser qu'au très court terme !

2.3. Deux rencontres...

Alors que j'étais dans la marine nationale durant l'hiver 1939-40, visitant le LCT de l'avenue de Breteuil (7) je rencontrais pour la première fois P. GLOESS qui me fit une démonstration des « lignes à retard » à self et capacités (filtres passe-bas) qu'il avait réalisées et dont le domaine d'emploi apparaissait être le radar et les télécommunications (dans ce laboratoire LCT furent inventés la « PCM », Pulse Code Modulation (8) et le PPI (8), entre autres).

J'ai retrouvé Gloess à Sadir-Carpentier où il avait monté un groupe de recherches sur les multiplex à impulsions. Deloraine, « patron » du LCT, déposa un brevet sur les multiplex à impulsions en 1945... je crois bien. Louis Chéreau cité ci-dessous devrait bien écrire un livre sur l'histoire des brevets LCT, LMT... Impulsions, digital c'est cousins germains ! J'étais attentif à ce que faisait Gloess, et nous avons « pondu » ensemble des papiers (10).

Gloess n'avait pas de meilleures relations que les miennes avec ces messieurs de l'ex CPDE. Aussi n'ai-je pas eu par la suite de difficultés à l'associer à mes projets.

C'est dans la marine que j'avais rencontré H.D. Tassy où il fut « rappelé » alors qu'il était ingénieur au service des brevets de LCT (ITT ou LMT je ne m'en souviens plus, mais c'est la même chose !) dirigé par L. Chéreau. J'ai retrouvé H.D. Tassy à Sadir-Carpentier !. Tassy sera associé à la SEA comme ingénieur conseil en propriété industrielle. Il le restera jusqu'à la fin de SEA et la création de la CII. Dés que je fus sorti de Sadir-Carpentier, j'ai recherché des ingénieurs et des techniciens et les premiers ingénieurs à être embauchés furent C. Masson, G. Piel pour le « numérique », C. Cooréman et B. Sokoloff pour « l'analogique ». A. Métral mit à notre disposition environ deux mille mètres carrés dans l'un des halls de GSP à Courbevoie dans l'ancienne usine des automobiles Delage. Gorce aménagea le volume.. l'aventure était rapidement engagée.

Quelques mois plus tard, A. Métral sur notre demande détacha de GSP un jeune comptable pour prendre en charge l'administration, la comptabilité puis les finances de la SEA. Maurice Goton fit toute sa carrière à la SEA, puis il devint directeur financier à la CII qu'il quitta par la suite.

H.D. Tassy lors de nos discussions en 1939, puis à Sadir.Carpentier, m'avait appris ce qu'est un brevet et l'importance de ce titre de propriété. La possession par SEA d'un portefeuille de brevets était donc la condition nécessaire permettant de concevoir une entreprise, je l'associais naturellement à la SEA dès l'origine.

En Gloess j'avais découvert un inventeur très intelligent et un adroit expérimentateur avec lequel la discussion était possible car il acceptait qu'on ne fut pas de son avis (11). Je puis dire la même chose de P. Gorce dans un autre domaine que celui des techniques des impulsions : Gerce était surtout mécanicien, proche de la production, ce qui est assez rare pour un polytechnicien (12).

Ainsi naquit la SEA avec trois hommes d'expérience, Gloess, Gorce, Tassy, de plusieurs années mes aînés, et les ingénieurs cités plus haut, sans oublier les techniciens et ouvriers, ouvrières qui vinrent nous rejoindre. Mme Veauver entra ensuite et m'apporta son dévouement jusqu'à mon départ de Thomson, en 1972 je crois.

Gorce et Tassy sont hélas décédés depuis plusieurs années et j'ai perdu le contact avec Gloess (Dreyfus-Alain m'apprend qu'il est décédé en jouant au tennis, il y a peu de temps) , peut-être a-t-il voulu rompre nos relations en pensant que je n'avais pas fait ce que j'aurais dû faire, lors de la réalisation du « plan calcul », pour assurer la poursuite des activités de mes collaborateurs de la SEA, et veiller à la reconnaissance de leurs dons. Si c'est cela, il avait raison, mais en partie seulement. Envers Gorce, Gloess, Tassy, j'ai donc une dette de reconnaissance et également envers ceux, que je ne connaissais pas auparavant, qui ont rejoint la SEA durant l'hiver 47-48 et les années qui suivirent. J'ai mentionné plus haut, les quatre premiers ingénieurs qui crurent en notre aventure commune et contribuèrent à ses succés.

Dans nos si peu luxueux locaux de Courbevoie, lors de nos débuts, nous visiteront le Général Grove alors responsable du projet Manhattan, puis Von Neumann qui fut attentif aux explications qui lui furent données sur nos travaux et vers quoi nous voulions aller, ce (très) grand scientifique savait écouter ! Ce fut très encourageant ! Puis H. Aiken, très cow-boy, voulait se rendre compte, je pense ; il ne nous apporta rien... devions-nous attendre quelque chose ? A mon avis non car j'avais visité son laboratoire de calcul à Harvard lors de ma mission pour le compte de Sadir-Carpentier, et bien que certaines publications de son laboratoire, sur la synthèse des réseaux et circuits binaires en particulier, nous firent gagner du temps, son expérience et ses réalisations étaient sans intérêt pour nous.

2.4

Ces dernières années que n'a-t-on dit et fait pour faciliter la création d'entreprises... simplifier les démarches et opérations administratives, que sais-je encore. J'avoue ne point comprendre. Mon expérience de jeunesse ne m'a révélé aucune de ces sortes de difficultés. Les difficultés n'étaient donc pas dues aux substrats administratifs, il est vrai que la technocratie n'existait pas alors, ou si légère ! la difficulté réelle était dans l'entreprise elie-même : en un mot celle qui me mobilisait le plus concernait la compatibilité entre les actions à court et moyen termes et les buts à long terme fixés à l'entreprise. Nous n'avions pas la possibilité de faire trop d'erreurs car il faut forcément les financer et les actionnaires, avec raison, en auraient gardé la mémoire et dans tous les cas elles pèseraient sur nos prix de revient. Minimiser les erreurs exige de suivre le conseil que je répétais : seul le détail compte. Plus tard, relisant P. Valéry j'y découvris parmi ses « mauvaises pensées » la même proposition : « qui veut faire de grandes choses doit penser profondément aux détails » et j'ajoutais : et tout aussi bien si les choses que l'on veut faire ne sont pas de grandes choses !

Le poids du détail c'est incommunicable, ça se vit, en équipe, le technocrate ne peut s'en rendre compte, le financier non plus d'ailleurs ! Le détail, c'est ainsi que se forme l'humus, l'expérience. nécessaires au développement de l'entreprise et c'est ainsi que l'on peut (tenter !) maîtriser les prix de revient. Dans le cas de la SEA cet humus de vingt années de travail en équipes a été anéanti idiotement et injustement (à mon avis !).

L'année dernière C. Desanges décédait ; je perdais un ami bienveillant et fidèle, fidèle à la SEA du début à la fin, et à moi-même ; ainsi restent vivants à ce jour G. Lemaire et moi des associés du début... il y a quarante années.

Ainsi naquit la SEA ! Ensuite nous travaillâmes, cela est banal sans doute, nous avons eu des succès. des échecs. Les uns et les autres contribuèrent à construire notre expérience et dans tous les cas, comme le disait un grand inventeur, Steinmetz je crois, l'invention : quelques pour cent d'imagination et le reste de la sueur, ce que P. Valéry a dit autrement « nos plus claires idées sont filles d'un travail obscur ».

D. Knuth a écrit dans un de ses papiers ou livres quelque chose d'analogue il me semble me souvenir !

3 . Les ordinateurs de la SEA

3.1

Dès le début de son existence la SEA entreprit trois sortes d'études (13)
   1 – calcul analogique
   2 – calcul numérique
   3 – automatisme industriel.
chaque groupe était formé de très peu de gens ; il n'aurait servi à rien de procéder à des embauches en nombre croissant trop vite puisque dans chacun des domaines abordés il fallait procéder à l'acquisition, en équipe, de l'expérience que nous avions à acquérir dans des domaines nouveaux.

Quelques années plus tard je décidais de créer un département de chimie-physique dont la direction fut confiée à B. Dreyfus-Alain.

Cette communication se borne à présenter les lignes principales de notre activité 2) renvoyant le lecteur curieux de reconnaître les idées, les inventions et innovations, aux notices et rapports techniques et aux brevets de la société (14). Sont données quelques références bibliographiques comme premiers points de repères partiels.

Notre première réalisation digitale fut le « Fizeaugraphe », calculatrice spécialisée (mots de 16 bits, 32 bits en double longueur), calculatrice spécialisée qui nous fut commandée par le STAé (Decker). Les études s'étalèrent sur la période 1948-50. Ce n'était pas une calculatrice « à programme enregistré ». Elle fut exposée en 1952 à Paris au « Salon du progès » sous le titre « première calculatrice française » !

Parallèlement nous réfléchissions aux calculatrices, à programme enregistré ; le rapport de Von Neumann, et d'autres publications, occupèrent notre esprit. Pour nous la question primordiale était : comment réaliser les mémoires ? Diverses solutions étaient expérimentées, dans plusieurs laboratoires hors de France, US, UK. Aucune n'était acceptable du point de vue industriel (selon mon opinion de l'époque). Lors de ma mission aux USA pour le compte de Sadir-Carpentier, j'avais rencontré Raichmann qui était l'adjoint de Zworykin alors patron des RCA Laboratories à Princeton (N.J) et j'eus la bonne fortune de pouvoir le faire inviter à donner une conférence aux « radioélectriciens » (15) sur les mémoires à tores de ferrites. Elle contribua à faire que l'idée prit place dans la communauté gauloise et dans l'arsenal du possible. Il fallait produire les tores. Seule Radiotechnique se mobilisa, nous pûmes ainsi fabriquer nos premiers « plans de tores » puis par la suite acheter à Radiotechnique les plans de tores câblés et testés.

Il fallait aussi une mémoire de second niveau (je n'ose pas dire mémoire de masse ! disons mémoire lente). Naturellement c'est le tambour magnétique que nous réalisâmes et là aussi nous eûmes à résoudre maints problèmes de détails : mécaniques (par exemple stabilité de forme, à une fraction de micron, du cylindre et du support de têtes) réalisation des têtes et réalisation des couches magnétiques d'enregistrement (les physiciens de Dreyfus-Alain y contribuèrent).

C'est en décembre 1949, à l'occasion des deux conférences que je fus invité par Linsman à donner à l'Institut Montefiore (ou la Faculté Polytechnique de Mons ?) que je visitais la « Bell-Anvers » qui réalisait une calculatrice dotée d'un tambour magnétique. N'oublions pas que l'enregistrement magnétique est véritablement né aux Bell labs (U.S.), rappelons nous la mention sur les films de cinéma « enregistrement sonore procédé Western Electric » ; bien sûr il y eut des antériorités, les spécialistes en discuteront ! Tassy nous informait au plan de la propriété industrielle. Revenons à la SEA et aux tambours magnétiques.

Quel mode de modulation ? Diverses considérations nous conduisaient à la modulation de phase... mais ce procédé était breveté par un Anglais (j'ai oublié qui) ; via le NRDC (une espèce d'ANVAR anglais) nous avons acquis une licence non exclusive.

Pour l'unité centrale, nous avions notre technologie série à lignes à retard, minimisant le nombre de tubes (les éléments les moins fiables des technologies de l'époque).

Ainsi nous pouvions entrer dans la filière des ordinateurs. C'était en 1949-1950. D'excellents accueils chez Maurice Wilkes à Cambridge, et d'autres en Angleterre nous aidèrent à réfléchir et à ne pas réinventer ce qui était déjà expérimenté.

Est-ce lors d'une visite au National Bureau of Standard que je vis une sorte de « Mécano » à la base de la réalisation du SEAC ? Je n'en sais plus rien. Une chose est sûre, c'est la voie du mécano et des circuits imprimés enfichables que nous avons choisie à l'exclusion de toute autre méthode d'assemblage. Mais notre choix posait des problèmes bassement matériels ! Nous n'avions pas de fournisseurs dans l'hexagone. Les connecteurs : nous les avons conçus et fabriqués (16) (jusqu'à ce que des produits U.S. soient fabriqués en France) ; assez rapidement nous avons ensuite adopté le câblage par « wrapping » (les premiers en France, quel problème celui d'obtenir des fils conducteurs selon les spécifications désirées !). Nous fabriquions nos « câbles plats » bien avant qu'ils existent sur le marché.

D'autres aspects de l'activité technologique sont ici laissés de côté, ou je les ai oubliés. Néanmoins le lecteur de 1988 qui n'a pas connu professionnellement les décennies 40 et 50 pourra deviner la pauvreté du tissu technologique de l'hexagone à cette époque là. Que tous ces problèmes aient été causes de retards dans nos réalisations ne l'étonnera pas !

Vers la fin de cette époque plutôt que d'encourager une forte dynamique des PME, du moins de celles qui étaient actives, inventives et spécialisées, le contexte gaulois s'orientait autrement : « ce qui est grand est beau », j'emprunte l'expression à Roy Rothwell (je recommande son article paru dans le supplément « la recherche économie»  au no183 de La Recherche) ainsi que celle qui fait fureur depuis quelques années : « ce qui est petit est beau ». Voir aussi note (10) de notre communication à ce colloque « le Plan Calcul ».

Industrie d'assemblage, nous avions bien l'idée qu'elle évoluerait, mais avec quelle vitesse ? La création d'un département de physique et chimie fut la matérialisation de la nécessité de comprendre, sans retards successifs, cette évolution et de disposer de compétences pour être aptes à dialoguer avec l'industrie de la micro-électronique. Ici ouvrons une parenthèse.

Au cours des années 64 à 70, les technocrates opposaient les circuits hybrides et les circuits intégrés et ainsi ils ne se rendaient pas compte que les technologies d'assemblage mises en œuvre dans les premiers conduisaient à celles nécessaires à l'assemblage des « puces » ». Je ne dis pas qu'elles étaient les mêmes mais elles constituaient et constituent toujours l'humus technologique du producteur d'ordinateurs. Ainsi peut-on lire dans l'un des « documents contributifs » du rapport de Simon Nora et Alain Mine Informatisation de la Société édités en 1978, sous le titre « La série IBM 1380 » :

« Dire que la troisième génération d'ordinateurs est caractérisée par l'emploi des circuits intégrés est en contradiction avec le fait de prendre la série 360 comme symbole de cette troisième génération. Les circuits intégrés en effet en étaient absents, et IBM a joué sur les mots en essayant de faire identifier ses micromodules (qui étaient des assemblages de circuits discrets ultraminiaturisés) à des circuits intégrés, qui – par définition – ne sont pas constitués de composants discrets.

Ce point est important, Car c'est certainement de propos délibéré qu'IBM a choisi à l'époque de ne pas se placer à la tête du progrès technologique en matière de circuits intégrés, et de laisser d'autres prendre ce risque. Dès le début de 1965, il était évident que les micromodules implantés de circuits discrets constituaient une technologie dépassée, chacun pressentant déjà que les circuits intégrés etc.
 »

Il est inutile de commenter ce texte ridicule. Pour adhérer à mon opinion l'historien est invité à réfléchir sur les errements de l'industrie française des semi-conducteurs, des circuits intégrés et des LSI, au cours des trois ou quatre décennies passées. Pour clore cette parenthèse, j'emprunte quelques lignes à la conclusion de mon livre (17) qui évoquaient, brièvement, la micro-électronique :

« Concernant le progrès des technologies de bases, il est caractérisé par la micro-électronique sous des formes variées selon qu'il s'agit des mémoires ou des organes d'opération et de commande.
Il est dominé à moyen terme par l'approche rapide du « L S I. » Un ordinateur dans le volume d'une boite de cigares ou d'un paquet de cigarettes est devenu une réalité à partir des moyens technologiques maîtrisés à ce jour, et cela ne constitue pas, loin s'en faut, une limite technique à long terme.
L'importance de cette évolution est considérable car elle pose autant de problèmes de politiques industrielle et économique que de problèmes scientifiques et techniques. En effet, si jusqu'alors les activités industrielles de l'informatique étaient – et sont encore – des activités d'assemblage tirant le meilleur profit des progrès réalisés en amont, dans l'industrie des composants, elles ont évolué dans le cadre de transpositions successives ne mettant pas fondamentalement en cause les principes scientifiques, techniques et industriels en usage. L'assemblage
in situ des composants électroniques non discrets, accomplissant les fonctions de composants (discrets) électroniques, au niveau de la production d'un circuit intégré réalise un schéma électrique défini par un ingénieur électronicien et déplace en amont du fabricant d'ordinateurs un dialogue qui pouvait se localiser aisément lorsque le fabricant d'ordinateurs achetait des composants discrets. Partant d'un commerce de fournitures, nous voyons donc comment s'instaurent des activités de sous-traitance absolument fondamentales.
La mise en œuvre des circuits intégrés reste attachée néanmoins à des concepts techniques et à des lois d'association entre eux qui permettent au fabricant d'ordinateurs de réaliser le hardware correspondant aux spécifications des logiciens
. Au contraire, avec le LSI. une mutation se réalisera puisque fonctionnellement un LSI peut, dans une approche procédant par analogie, choisie ici pour simplifier l'exposé, être considéré comme l'association de plusieurs dizaines ou centaines de circuits intégrés dans une même pastille de semiconducteur : sa conception implique donc des choix qui restaient jusqu'à présent du domaine de responsabilité du fabricant d'ordinateurs et, en outre, ces choix ne peuvent être exercés dans l'ignorance des procédés de fabrication et des lois de la physique du solide.
L'organisation des activités informatiques est donc appelée de ce fait à subir de profondes modifications dont l'analyse sortirait du cadre de cet ouvrage. La nécessité de repenser nombre de points de vue apparaît à l'évidence. En outre, le progrès dans la micro-électronique s'accomplit d'autant plus rapidement que chaque pas est maîtrisé au plan de la production. Par conséquent, l'avenir de l'informatique dépendra d'une succession de convergences d'efforts de nature variées, qui sont évoqués dans l'introduction et dans les remarques ci-dessus.

3.2. La généalogie des CAB. Calculatrices Arithmétiques Binaires

CAB 1011

Mis en exploitation en juillet 1955 jusqu'en 1965 – fut commandé par les services du Président du Conseil. C'était le « Colossus » gaulois ! La nature des traitements effectués conduisirent Gloess, en 1953, a inventer le « hashcoding » (ainsi appelé ultérieurement dans la littérature U.S.). Le hashcoding fit l'objet d'études théoriques beaucoup plus tard (cf. D Knuth (18) car A Hocquenghem n'était pas encore notre mathématicien-conseil).

CAB 2000

Le projet débute en 1951 (1952?) (19) (20) (21)
Deux exemplaires furent mis en exploitation respectivement en octobre 1955 et en janvier 1956 à Matra (en exécution d'un marché du service technique aéronautique) et à l'atelier de construction de Puteaux de la DEFA. En décembre 1964 le CAB 2022 de Matra avait totalisé 33 000 heures d'exploitation, celui de la DEFA 15 000 heures.
Un troisième exemplaires fut livré au LRBA à Vernon, sous le nom de SABA, Simulateur Arithmétique Binaire de l'Armement.
Deux projets (sur papier) furent arrêtés : l'un visait les application à la gestion, l'autre les applications scientifiques.

CAB 3000

Le projet part bien avant 1956, mais quand ? probablement en parallèle avec les versions « gestion » et « « scientifique » de CAB 2000 abandonnées comme dit ci-dessus.

CAB 3018

Destiné à des simulations, l'un fut livré à Nord-Aviation, l'autre à la Matra, les recettes furent accomplies en 1957.

CAB 3030

General purpose, un livré à l'INSEE, l'autre au CPS (Comptoir des Produits Sidérurgiques) lequel fut mis en exploitation au début de 1960. Il fut exploité pendant plus de dix ans. Nous eûmes des controverses avec F. Closon (qui avait pris la direction de l'INSEE) puis rupture du contrat avec l'INSEE, de sorte que je ne sais plus ce que devint le CAB 3030 qui était à l'INSEE. Perte sèche pour la SEA !

3.3. CUBA (22)

Les études ont du commencer fin 1951 aux plans logiques et technologiques. L'installation de cette importante « machine » a été réalisée au LCA à Arcueil durant plusieurs mois en 1954-55.

Elle était dotée de deux tambours magnétiques fournis par Ferranti, le LCA ayant lui-même fait ce choix.

CUBA fut l'occasion de réfléchir à nouveau aux problèmes posés par le choix d'un « code d'ordres ». Un jeune mathématicien, Lepage, qui était entré à la SEA y apporta sa contribution ; de l'équipe SEA de l'époque, il était celui qui avait étudié les travaux de A. Turing... je ne discernais pas encore à quoi cela nous servirait. J'ai perdu la trace de Lepage et le souvenir de son départ de la SEA.

Jusqu'à ce moment les problèmes techniques ont beaucoup de poids  ; Et le logiciel ! et les outils de ce qu'on désignera plus tard par l'expression « dialogue homme-machine » ?

Gloess réalisa un compilateur Fortran pour je ne sais plus quel CAB.

Je dois dire que je n'ai jamais beaucoup attaché d'importance à Fortran ! Lorsqu'on est en rase-campagne sans beaucoup de repères fondamentaux, pourquoi suivre ceux qui se précipitent sur le premier venu ?

Quelques années après les prémices d'Algol nous donnèrent un autre éclairage ; et puis il y eut Mc Carthy (plus précisément sa première publication qui nous fut connue (23)... et la tour de Babel des langages de programmation s'édifiait, lentement mais sûrement alors que Fortran devenait Fortran l, II, etc.

L'ère des tubes électroniques prend fin, celle des transistors venait lentement. La première réalisation transistorisée de la SEA fut Dorothée. H. Boucher dans sa communication évoque cette réalisation. La technique des circuits a été décrite par G. Piel dans (24).

Poursuivons la généalogie des CAB.

3.4. CAB 500

L'étude de CAB 500 débute en 1956 à une époque où le choix d'une technique à transistors n'était pas définitivement fait et où allait s'achever l'étude d'une technologie « magnétique » originale, le Symmag dont les premières études furent financées par un service de la Défense (DRME ? STA ? j'ai oublié).

J'ai décidé d'entreprendre le développement du « Symmag » pour réaliser le CAB 500, ce qui donnera une technologie plus fiable (je n'ai pas le souvenir d'incidents au cours de l'exploitation du CAB 500 livrés) et du temps pour préparer l'étape suivante de la « transistorisation ». En réalité la nécessité de performances de vitesse nous conduisit rapidement à une technologie à transistors pour réaliser les deux « Dorothées » d'une part et la série de SEA 3900.

CAB 500 fut totalement financé par nous-mêmes ; ce fut un succès, je crois, bien que comportant maintes originalités et innovations. Pourquoi ? parce que nous étions libres de tous nos choix ; je n'avais à justifier mes décisions à personne extérieure à la société, où à tenir compte du contenu d'un contrat. Et puis c'était notre vrai métier d'industriel : construire une politique de produits sans interventions extérieures (25).

Il en fut de même de l'ensemble de gestion SEA 3900 dont l'évolution constitua le SEA 4000 (26).

Concernant la « transistorisation » même en essayant de faire preuve d'imagination (Piel n'en manquait pas, d'autres aussi..) H. D, Tassy me démontrait l'impossibilité d'échapper aux nombreux brevets du Bell-System, Nous avons donc signé un accord de licence avec le Bell-System, licence non exclusive évidement et raisonnablement peu coûteuse. Quelques années plus tard le gouvernement U.S. – la « loi antitrust » ! – décréta que tous ces brevets de Bell seront dans le domaine public, Ouf ? pas nécessairement.

CAB 500 était utilisable comme un ordinateur et comme une « machine de bureau », c'était une innovation dont un aspect est expliqué par Starynkevitch dans sa communication (27).

Le premier exemplaire livré à un client le fut en février 1961 ; en septembre 1962 dix huit mois après le lancement de la production dans l'unité de production mise sur pied dans l'établissement S.W. (Schneider-Westinghouse qui devint par la suite J.S. Jeumont-Schneider) de Puteaux soixante exemplaires étaient en exploitation, La « Sepsea » filiale de Schneider et SEA en assurait la diffusion, elle fut créée en 1961. En 1966, libérée de l'accord Bull-SEA, nous vendons encore des CAB 500 !  (28).

Quel aurait été le successeur de CAB 500 si nous avions pu poursuivre notre activité, librement ? c'était le CAB 1500, J'évoquerai très rapidement paragaphe 4 ce projet dont une maquette devant le « joujou » de Claude Masson.

3.5. Les ensembles de gestion SEA 3900 et SEA 4000 (26)

C'est au plus tard dans le courant de l'année 1958 que j'eus les premiers contacts précis avec Joseph Dupin de St Cyr au Crédit Lyonnais. Il fut attentif aux idées que je lui exposais et il eut la patience de m'expliquer les problèmes de l'informatique dans la banque. Finalement une collaboration s'établit avec la direction des agences de Province que dirigeait Brincard. Un plan d'ensemble fut élaboré dont la première étape fut la création du Centre de traitement de Roubaix qui fut équipé du premier CABAN (alias SEA 3900, calculateurs bancaires... Dupin de St Cyr ancien officier de marine fit avec moi un jeu de mot, tout marin sait ce qu'est un caban !), en 1961 (?).

En application du programme fixé par le Crédit Lyonnais le centre de Melun fut équipé de deux SEA 4000 en 1966. Entre les deux il y eut Valence, Tours,.. j'oublie peut être un Centre.

L'idée de départ de ces ensembles de gestion était la suivante, à partir du constat suivant. Ce n'est pas à court terme que note associée la Compagnie des Compteurs sera capable de concevoir et produire des dérouleurs de bandes magnétiques très performants et capables de tenir le coup après des milliards de « start-stop» . Donc prenons une autre voie (29).

Le jeu de start-stop c'est un corollaire du séquentiel !

Supposons que chaque groupe d'information lu sur une (ou plusieurs) bande magnétique soit traité avant que n'arrive le groupe suivant : alors plus de start-stop. C'est ce que j'avais appelé le « défilement quasi continu ».

Bien entendu pas question d'asservir les vitesses avec la précision qu'aurait exigé ce principe appliqué rigoureusement. Donc les start-stop remettront, lorsque nécessaire, les débits des bandes magnétiques et les durées de traitement en phase correcte, Ainsi Starynkevitch et Herrström purent réaliser des tris polyphases de performances honorables avec des dérouleurs de bandes magnétiques très économiques. J'ai mentionné la compagnie des Compteurs ; nous avions un accord avec elle (30) au sein de ce qui avait été appelé le « GFDA » (groupement français pour le développement de l'automatique). Mon idée était fort simple : la CdC a de grandes capacités de produire en série à des prix de revient fort bien maîtrisés. Pourquoi développer nous-mêmes une unité de production alors que nous avons tant à faire. C Desanges était ami avec P Heeley le PDG de CdC, à l'époque ; je fis embaucher Cytrin par la CdC et les « PEN » furent créées et produites.

Une idée intéressante – je crois ! – était réalisée dans l'ensemble SEA 4000 : celle du « groupe de coordination » utilisé, soit connecté à l'unité centrale de l'ensemble, soit en fonctionnement autonome permettant en liaison avec divers organes « périphériques » l'exécution en parallèle des changements de supports d'information (avec l'exécution de transcodages éventuellement nécessaires) et des impressions, ainsi que des liaisons à distance entre différents centres.

4. L'aventure va se terminer

4.1. Nous fumes conduits à côtoyer Bull

Le premier accord Bull-SEA est évoqué dans notre communication « Propos d'un cuisiniste ». Dans la communication « Le Plan Calcul » j'ai évoqué le deuxième accord Bull-SEA qui se termina par une rupture et un arbitrage favorable à nos intérêts (partiellement à mon avis car comment évaluer les conséquences des mois perdus ?).

Si pour [e premier aucun fonctionnaire n'intervint il n'en fut pas de même du second... Ainsi la « pression » du patron de la DIME (Ministère de l'Industrie) fut déterminante. Je le connaissais bien, Lescop est son nom, nous parlions de l'avenir dangereusement incertain de Bull. Il ne rejetait par mon discours non technocratique, discours du paysan qui observe et essaie de comprendre et d'apprécier la situation à 10 % près avant de reconnaître si on a le temps d'affiner l'analyse. Les mois passèrent, un jour il invita C. Desanges et moi à déjeuner et d'une certaine manière nous obligea à passer un nouvel accord avec Bull ! Mais peu de mois après ce fut l'« affaire Bull » et cette fois SEA perdit des plumes, car cet accord nous priva d'une partie de notre liberté et nous fit perdre du temps. Notre filiale commerciale Sepsea était alors en porte à faux, la poursuite de la commercialisation du CAB 500 étant prise en charge par Bull alors que Sepsea commercialisait nos ensembles de gestion SEA 3900-4000 en concurrence avec le Γ 30 de Bull (alias RCA 301 importé des USA)... situation intenable, ridicule même.

Délaissons les gauloiseries politico-technocratiques, l'historien et le sociologue auraient là un sujet de réflexions utiles... car comprendre c'est peut être éviter des errements et erreurs comparables dans l'avenir ! Je vais terminer cette communication en évoquant un aspect de la « science informatique ».

4.2. Les idées de Von Neumann et de Maurice Wilkes (entre autres)

Celles de la petite équipe de la SEA, m'apparaissaient devoir être approfondies et repensées afin d'émerger des perfectionnements successifs apportés aux concepts.

Ma démarche a d'abord consisté à dire autrement ce qu'on a coutume d'appeler la « machine de Von-Neumann » (ou de Turing-Von Neumann). Je dis « ma démarche » car ce que je vais rappeler rapidement ici n'était imposé à personne de nos collaborateurs de la SEA ! Le lecteur pourra en avoir une idée en se reportant à (31). Il lira, page 119 :

« ... en insistant à nouveau, le matériau sur lequel travaille la machine est donc un signal grâce auquel, selon un jeu de conventions explicites, il porte une information donnée »
« ... ainsi donc l'organisation des transferts est-elle essentiellement technique, sans rapport avec les informations transmises »
« L'automatisme est donc équivalent à l'organisation générale des transferts sous la forme de séquences temporelles données. »

C'est encore naïf mais ce n'est pas de nature à créer des mythes et des comparaisons hasardeuses avec le cerveau humain ! Mais l'idée mûrit et onze ans après dans le chapitre 3 de Principes de base des ordinateurs (17) p. 43 est énoncé plus clairement le :
principe de destination : la signification attribuée à un contenu est fonction de sa destination hors du contenant duquel il est extrait (32).
Ce principe conduit à la propriété :
Ie contenu d'une cellule de mémoire n'a aucune signification... tant qu'on ne sait pas où il sera transmis.

et à :
Principe no1 de l'ordinateur Turing - Von Neumann : Chaque contenu appartient à l'une des deux catégories suivantes, à l'exclusion de toute autre  ordres, opérandes.
Principe no2 (ou énoncé d'une forme récursive du principe de destination) : la destination du contenu de toute cellule de nom (propre ou adresse) m de M (la mémoire) est déterminée par la provenance de m.

La provenance de m : c'est-à-dire l'organe produisant le signal porteur de l'information, qu'il est convenu de désigner par m dans notre discours.
Cet énoncé est récursif (quel vilain abus de langage !) car le signal véhiculant ce que j'ai désigné par m prend cette signification (mieux, véhicule cette signification) en raison même de sa destination, à savoir le système technique, de circuits plus ou moins complexes, d'accès à la cellule d'adresse m.

Le principe de destination et les principes 1 et 2 conduisent à :
principe de séquentialité : les ordres destinés à être exécutés successivement sont contenus dans une suite continue de cellules dans la mémoire.

D'où le corollaire :
 – l'existence du compteur ordinal... ce petit circuit sur lequel tout repose !
 – et à nouveau l'application du principe de destination : le contenu d'une cellule de mémoire désignée par le contenu du compteur ordinal est un ordre.

Ainsi tout naturellement nous étions conduits à imaginer :
 – les mémoires associatives
 – les préfixes (ou suffixes et infixes), les pré-préfixes...
d'où une famille de concepts de machines (nous ne disions pas ordinateurs) pour reconnaître des voies et moyens permettant d'échapper à la succession des perfectionnements des concepts et idées de Turing-Von Neumann... et de l'EDSAC – (33). Perfectionner n'est pas condamnable, le faire sans remettre en cause ce qu'on pense et ce qu'on regarde ou ce qu'on fait est une faute. Réfuter ! réfuter ! conseille K Popper !

Et puis avions-nous les moyens, formels, théoriques, pratiques d'apprécier les conséquences de chaque perfectionnement sur l'usage de la « machine » et son logiciel de base ? A l'époque la réponse était non ! et aujourd'hui ?

J'ai oublié de rappeler l'existence d'un principe implicite : l'unité d'information est un mot de longueur fixe. L'évolution des techniques des mémoires rendait difficile en effet l'adoption de la variabilité de la longueur des mots. Il en est de même aujourd'hui sauf exceptions. Pour ce qui concerne la SEA l'exception fut la conception des ensembles de gestion 3900 et 4000 dès lorsqu'ils prenaient comme base l'enregistrement sur bandes magnétiques : un fichier est un ensemble d'articles et un article est etc. Le concept de « mot.machine » n'a donc aucune raison d'être introduit ici : c'est une contrainte technique.

L'usage des listes est un moyen, détourné ?, d'échapper à cette rigidité congénitale. Les listes : depuis fort longtemps elles étaient dans le subconscient des « logiciens » de la SEA. Mais pas le déclic.

L'axe 2 fut la première « manip », du point de vue « machine » (et non pas programmation évidemment).

L'« axe 2 » est le baptême d'un « axe de recherche » confié à SEA comme je l'ai dit dans la communication le « Plan Calcul » (voir note (9) de cette communication). Il devait permettre au second accord Bull-SEA d'être réveillé au plan des recherches. Feissel me montra ce qu'il faisait en cryogénie, Sallé nous présenta le Γ 40 (est-ce bien 40 ??). Nous eûmes en avril et mai 1963 des réunions avec Nadler. Celles-ci auraient probablement eu quelques utilités si elles avaient été poursuivies. Il aurait fallu du temps pour que deux ou trois personnes de la SEA et Nadler finissent par faire converger leurs approches et points de vue.

La durée n'était plus l'axiome de Bull et la hiérarchie me semblait déboussolée. Ne revenons pas sur ces événements.

Libérée de l'accord Bull l'étude « axe 2 » fut menée par la SEA seule et la DRME nous notifiait un contrat de recherche (No 064-34-231-00 du 25 février 1965, je donne cette référence pour permettre à tout lecteur curieux de faire une recherche dans les archives de la DRET, ex-DRME !). De là la « machine axe 2 » qui ne fut qu'un projet, simulé sur le CDC 6000 de la SIA (34).

Parallèlement, nous entreprîmes l'étude du produit qui aurait assuré la suite de CAB 500 : ce fut le projet CAB 1500 dont une maquette occupa C. Masson comme dit au paragraphe 3.4. Après la « fusion » ou pendant cette opération (?) je la fis donner à Beaufils à l'Université de Toulouse et je n'eus plus de nouvelles.

Le projet CAB 1500 (et une version plus puissante) fut décrit dans plusieurs rapports remis à la DRME en exécution d'un contrat préliminaire au « Plan Calcul ». Dans sa communication H. Boucher expose cette question.

Le projet CAB 1500 était une « machine à pile ». Elle fut comparée au Burroughs...

Certes des critiques pouvaient être faites à ce projet et nous aurions nous-mêmes été critiques si libres de notre action (comme nous le fûmes antérieurement) nous avions par approximations et compromis successifs abouti à la définition d'un produit.

Pour terminer je prendrais la liberté de présenter quelques remarques sur la démarche qui m'a souvent guidé jusqu'au moment où mon intérêt s'est porté sur d'autres sujets.

Machine à piles ! l'étude axe 2 introduisait une unité centrale dotée de deux piles, l'une appelée pile objets, l'autre pile branchements : Starynkevitch avait appelé « pile résultats », PR, la première, « pile de communication », PC, la seconde. C'est Starynkevitch, je crois bien, qui imagina d'échapper aux interruptions de programme en cours d'exécution lorsqu'une de ces piles est pleine (car le concept de pile est propre si sa longueur est non bornée, comme le sont les rubans de la machine de Turing) en doublant chacune d'elles de telle sorte que lorsque le pointeur de données de la pile PC' (par exemple) est proche de la borne supérieure ou de la borne inférieure, il y a passage automatiquement à l'autre pile (PC" par exemple) et durant le temps des opérations qui suivront la pile PC' sera vidée en mémoire centrale et ensuite les rôles de PC' et PC" seront permutés. C'est l'idée, il faudrait relire les notes techniques de la SEA pour reconnaître les détails de son application.

CAB 1500 était, d'une certaine manière, une étape entre les « Von Neumann » et axe 2 qui n'était plus une « Von Neumann » (34). Sepsea publia une notice dont je dispose d'un exemplaire... j'enverrai une photocopie à tout lecteur curieux.

En 1969 A. Hocquenghem prit une initiative, importante pour moi : il m'invita à donner un contenu au cours d'informatique théorique qu'il voulait créer. Ainsi je fus mis au pied du mur par un ami ! Oublions le titre, trop pompeux, de cet enseignement. Ce fut l'occasion pour moi de tenter mettre un peu d'ordre et de rigueur, dans ce que j'ose appeler ma démarche.

Ainsi j'ai essayé d'expliquer les principes de l'ordinateur et leur pourquoi en relation avec ce qu'il doit exécuter. Je ne voulais pas choisir tel ou tel langage de programmation craignant d'être prisonnier de choix implicites qu'il contiendrait et le fait dominant que je voulais expliquer était compris dans la boutade : à quoi servirait un ordinateur s'il ne passait pas la majeure partie de son temps à exécuter des « boucles » ?

Les boucles : le schéma « théorique » une pile PC, des ordres capables d'être marqués s'ils sont terminaux, un rangement sur PC de la position de la première instruction d'une boucle suffit pour exécuter n'importe quelles boucles pourvu qu'elles soient emboîtées et non pas imbriquées. Le Goto n'a donc pas sa place ici, ce gâteux condamné à mort (lente) par Dijkstra l'année d'avant dans une communication of ACM, non pas parce que ce n'est pas bien, mais parce que ce n'est pas naturel (?) au regard de l'automatisme d'un ordinateur doté d'une pile de communication. Sinon il faudrait déroger à l'automatisme lié à celle-ci par le recours au logiciel de base.

Les « appels récursifs » ? c'était moins simple, ce n'est que plus tard que j'ai pensé avoir décrit une bonne (!) et très simple solution. Elle implique non pas la pile, mais un pile PC qui soit une « pile de piles » (35).

Est-ce que la discipline informatique et la science informatique acceptent aujourd'hui, revues, corrigées, rééditées, des démarches ressemblant à celle du « cuisiniste » de l'informatique qui a écrit, rapidement et de manière décousue sans doute, cette communication ?

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Notes
  1. R. Moreau, Ainsi naquit l'informatique, 1981, Dunod éd. – réédité en 1987.
    Voir aussi H. Boucher, Architecture de l'ordinateur, tomes 1, 2 et 3 – cours de l'ENSTA, Cepadues éditions 1980, et aussi Organisation et fonctionnement des machines arithmétiques, Masson édit. 1960.
  2. Qui fut absorbée quelques années plus tard par la CSF que dirigeait M. PONTE. Carpentier est le nom du créateur du début du siècle (ou à la fin du précédent ?) des célèbres Ateliers Carpentier, constructions d'appareils de mesure et de physique. Voilà une histoire qu'il serait instructif de raconter !. Sadir ? J'ai oublié. Je suis entré dans Sadir-Carpentier avec le titre ronflant de Conseiller Scientifique ! auquel je n'attachais aucune importance. Je devais ce poste de relative liberté, très certainement à Yvon DELBORD qui avait antérieurement désiré que je rentre chez Sadir-Carpentier dans le groupe de recherches sur la télévision qu'il avait créé. Je disais non car je pensais qu'il y aurait, après la libération, plus urgent à faire. Erreur de jugement ? Y. Delord ne m'en tint jamais rigueur et il est fort possible que je lui doive la décision de notre PDG de Sadir-Carpentier de me confier la mission évoquée plus haut.
  3. L'un d'eux me déclara un jour que ce dont je parlais était sans avenir et procurait un amusement aux Américains. Ainsi s'exprima un polytechnicien sur la naissance prévisible de l'informatique.
    Cette attitude me rappela une scène vécue à Toulon quelques années plus tôt, alors que j'étais affecté au Laboratoire de recherche de la marine à Toulon, auprès d'un physicien appelé LAVILLE, (qui m'apprit beaucoup de choses), en 1938, je crois bien : me remettant l'un des magnétrons livrés à la Marine Nationale par CSF et réalisés par PONTE et GUTTON, un ingénieur du génie maritime me dit : cet engin n'a pas d'avenir... Je ne l'ai pas cru mais j'étais incapable de dire pourquoi ; mauvais esprit sans doute !
    Je n'ai naturellement aussi hostilité de principe à l'égard des polytechniciens, au contraire, sauf lorsqu'ils contribuent à diverses formes de technocratie dont les effets pervers sont à dénoncer.
  4. Société des machines-outils, Guillemin-Sergot-Pégard, dont j'avais été Secrétaire Général après la libération de Paris. Ce fut une idée de A Métral, lequel n'était pas encore de retour d'Algérie, à l'époque. Cela me permit de « découvrir » l'industrie vue d'une direction générale. J'étais en effet auprès du PDG Marcel Pégard, un vrai « patron ». Lors de la création de SEA, M. Pégard avait déjà quitté GSP, A. Métral en était alors administrateur–Directeur Général comme dit plus haut.
  5. À ce moment il était membre du Comité Directeur, il en devint le Président en 1949... et moi en 1973 !
  6. Alors qu'il était ingénieur de SFR et s'occupait de radionavigation, je fis sa connaissance lorsqu'il fut rappelé dans la marine en 1939 et nous nous rencontrâmes souvent à TOULON. Car en 1939 AR. METRAL m'avait demandé de rédiger un bouquin sérieux sur la radionavigation ; le manuscrit fut égaré par la suite... J'ai ensuite rédigé un « Que sais-je ? » sur ce sujet. J'ai retrouvé la radionavigation à Sadir-Carpentier quelques années après...
  7. Laboratoire central des télécommunications du groupe ITT, visite organisée par Y. Delbord alors mobilisé dans la « royale ».
  8. Brevet de l'anglais AH. Reeves, en 1937-1938.
  9. Plan Position Indicator, l'invention de P.F. Gloess concernait un radar anticollision, mais elle conduisait assez naturellement au P.P.I. du radar panoramique. Voir Journal of Franklin Institute, vol. 253, no2, feb. 1952.
    Parallèlement à son activité au sein de la SEA, P.F. Gloess devint ingénieur-conseil auprès du CNET (près de Libois) qui avait été créé sous la direction de Marzin quelque temps après la libération ; cette situation a été définie uniquement par des accords verbaux ; de même que le stage effectué à la SEA par l'un des fils, jeune ingénieur des télécommunications, de Marzin.
    Le CNET nous confia une étude à caractère prospectif sur la commutation téléphonique. J'en confiais l'exécution à Boisvieux, dont la deuxième partie du rapport de fin d'étude daté de février 1956 propose la voie de la « commutation temporelle ». Voie naturelle pour l'équipe SEA et là s'arrêta nos réflexions sur le « téléphone », ce n'était pas notre métier ! Grâce à nos bonnes relations avec le CNET, Lemoine (qui avait rejoint Piel) put réaliser les premières « manip » de connexion à distance d'un CAB 2022 et faire des démonstrations lors d'un des premiers congrès de cybernétique de Namur.
    Le « téléphone » ! celà me rappelle une idée de l'Amiral Conge qui présidait la COPEP (commission permanente de l'électronique du Plan). Un jour il convoqua Maurice Ponte, Ambroise-Roux et moi et il nous dit : « il faudrait pour dynamiser l'industrie électronique un projet mobilisateur à long terme : réfléchissez et, chacun de vous, envoyez moi un projet ». Rendez-vous fut pris : j'ai oublié ce que Ponte et Ambrouse-Roux avaient proposé... ma copie exposait l'idée suivante : supprimer l'annuaire du téléphone et étudier les automatismes nécessaires pour apporter des commodités et services aux usagers. L'amiral lorsqu'il nous reçu, révéla le contenu des propositions de Ponte et Ambroise-Roux, quant à ma « copie » il annonça qu'il ne révélerait pas le contenu, étant donné son intérêt, ou son importance (!). La suite ? il n'y en eut aucune, pour ce qui me concerne !
  10. Citons : P.F. Gloess et F.H. Raymond « Régimes transitoires et techniques des impulsions«  Onde Electrique, juin 1948 Vol. XXVIII no255.
  11. Je dis cela car il m'a été donné de rencontrer des « inventeurs » et de constater que la plupart ne savaient pas écouter.
  12. Il était de la promotion de A Métral... pure coïncidence !
  13. Ensuite turent créées deux autres activités : l'une concernait ce que nous appelâmes le « généphone » créé pour répondre à un appel d'offre de la Marine Nationale auquel nous répondîmes avec une licence de l'ATT-Bell-Iicence simple non exclusive donc sans aucune assistance technique. Mais les brevets de la Bell sont en général fort bien rédigés ; je conseille aux jeunes ingénieurs ou scientifiques de lire par curiosité les brevets de Nyquist et ceux de Bode (sur la contre réaction), comme exemples typiques parmi bien d'autres ! C'était notre activité de « pâtissier » ; elle n'était pas triviale ! outre la Marine nous diffusâmes ce produit dans les mines et les chantiers. Elle était basée sur un « microphone » ayant un bon rendement et un fonctionnement sûr afin de réaliser des liaisons téléphoniques sans apport d'énergie, donc de sécurité. La Bell l'avait développé pour l'US Navy.
    Pour nos amplificateurs nous avions besoin d'un bon chopper ; j'eus l'idée d'utiliser le principe de notre généphone que nous savions fabriquer en série. Ce fut un problème important pour nos calculateurs analogiques résolu grâce à notre propre chopper.
    La seconde activité concernait la « Servalco » venue plus tard.
    Pour nos simulateurs (en particulier celui de Caravelle, de Vautour, du Breguet Atlantic) nous réalisions des servomécanismes. Les livres spécialisés, fort savants, donnaient des idées sur le choix et le calcul des moteurs à courant continu nécessaires. C'est-à -dire sur ce qui est facile à fabriquer ! car le vrai problème était de concevoir des réducteurs mécaniques sans jeux et de frottements faibles et pas trop coûteux à fabriquer.
    Entre temps, Gaz et Eaux avait pris le contrôle des Etablissements Ragonot. Dans ce contexte C. Desanges me proposa d'embaucher des techniciens de Ragonot. J'ai embauché Henry-Baudot et deux ou trois de ses collaborateurs et j'ai dit à « Jacky » (comme nous l'appelâmes par la suite) ceci : « dans nos servomécanismes il y a un truc idiot, c'est le réducteur, car les moteurs sont efficaces s'ils tournent vite ; au repos les calories dues à l'effet Joule ne se dissipent pas, le cuivre du rotor étant soigneusement isolé. Etudions un moteur plat dont le rotor serait un circuit imprimé double face dans lequel, naturellement, le cuivre n'est plus isolé. Ainsi notre moteur aura deux propriétés : il pourra fourni le couple maximum permis, même à vitesse nulle, et son rotor aura une faible inertie, Pour un servomécanisme c'était la bonne solution et il n'y a plus de réducteur ! ». Henry-Baudot est devenu ainsi le maître des « Servalcos ».
    Pourquoi ce long discours ? pour dire aux jeunes ingénieurs (ceux qui liront les actes du Colloque) attention il faut parfois penser à supprimer un problème difficile pour en énoncer un autre qu'on imagine plus facile à résoudre mais qui ouvre le champ des applications.
    La CEM en France, Yaskawa Electric au Japon, PMI aux USA (filiale de SEA et Photo circuits corporation) ont développé ces moteurs et le champ des applications et ils ont industrialisé la production, chacun selon ses capacités et en fonction des marchés visés par ses produits.
  14. Je possède le répertoire des notes et rapports techniques, ainsi que des brevets. Je les tiens à la disposition des curieux qui pourront tenter leur chance de retrouver des documents auprès de la Bull.
    A ce propos je cite un court alinéa extrait d'une note, pleine d'humour, mais aussi de tristesse, rédigée par R Ciais (qui n'était pas de la SEA) et publiée dans Périphériques et systèmes informatiques no11-12, janv.-fevrier 1975 : « C'est avec beaucoup de mal que l'on put reclasser et emmagasiner plusieurs tonnes d'études et de documentation technique SEA. Las ! un nouveau directeur fit ensuite, pour faire de la place, envoyer à l'incinérateur cet énorme trésor de matière grise. Cendres nous sommes. »
  15. Rajchmann... L'Onde Electrique...
  16. Le problème des contacts n'est pas trivial ! J'avais remarqué la qualité de ceux des relais des machines IBM. J'ai demandé à IBM où me les procurer... question naïve ? Non, car IBM autorisa son sous-traitant à nous en livrer.
  17. F.H. Raymond, Les principes des ordinateurs, PUF 1969 – Le lecteur de 1988 devra être indulgent car il fut écrit en quelques semaines au cours du printemps 1968. Mon but était d'écrire une longue préface à la manière de Bouasse, sur l'informatique, évidemment. Constatant que le professeur Toulousain n'était plus connu, j'ai abandonné cet exercice d'imitation et écrit le bouquin.
  18. Au sujet du hashcoding voir t3 de Art of programming de D Knuth. La première publication est, je crois, celle d'A.I. Dumey in Computer and automation de décembre 1956, A.P. Ershov, N.W. Peterson ont publié en 1957. Gloess a donc été le premier. Nous aurions du faire une publication ; prendre un brevet ? H.D. Tasty a certainement rejeté l'idée d'un brevet : non brevetabilité d'un algorithme.
  19. Documents, no101 – 15 octobre 1956 et Documents no144 – octobre 1958 – on y présente CAB 3000 et CAB 500 et l'article décrit la machine CAB 2022 en exploitation à Monsavon (gestion des prospections commerciales). Cet ordinateur était doté du « numérographe » lequel est décrit dans (21) référence ci-dessous. Au sujet du CAB 2022 de Monsavon B. Lussato écrit une ânerie dans son livre Le défi informatique. C'est un court-circuit dans l'installation de ventilation située à l'étage en dessous de l'ordinateur qui transmit le feu à celui-ci. Nous n'étions pas responsable de la dite installation !
  20. Ingénieurs et techniciens no78 – juin 1955 - voir également réf (1).
  21. P. Vauthieu, « Le numérographe » – Onde Electrique... Cooréman contribua à sa conception et à sa réalisation, si ma mémoire est bonne. Je mentionne ce produit car à l'époque nous n'avions pas encore décidé de réaliser, nous mêmes, une imprimante rapide. Ce que nous fîmes pour équiper nos SEA 3900 et 4000.
  22. CUBA. Calculateur Binaire de l'Armement.
    C'est l'imagination de mon ami Pierre Naslin qui fut mise à l'œuvre. Le LCA et l'Ecole Nationale Supérieure de l'Armement étaient dirigées par l'Ingénieur Général Nicolau qui avait créé la devise « tête haute, pieds au sol » pour l'école... d'où Naslin déduit « Cul bas », puis CUBA !
  23. Mc Carthy, « Recursive functions of symbolic expressions and their composition by machine, Part 1 », Com. of ACM, avril 1960, p. 184-195, puis par la suite: Mc Carthy, « A basis for mathematical theory of computation » in Computer programming and formai systems editors P. Braffort and D. Hirschberg, North-Holland publ. 1963, p. 33-70. Ce texte est issu d'un papier présenté par Mc Carthy à la Western Joint Computer Conference, may 1961, sous le même titre.
  24. G. Piel – « Une technique de circuits électroniques pour machine à calcul rapide », Onde Electrique, janvier 1954.
    Je conseille la lecture d'un autre article de G. Piel, dans lequel il reprend ce qu'il avait rédigé dans des notes de 1966 et applique la méthode de Bergeron, approche originale, et utile : j'ai perdu la référence de cet article paru dans l'Onde électrique. Les Grenoblois de l'INPG seront intéressés de voir voir utilisé le travail de l'hydraulicien grenoblois !
  25. Politique de produits  En 1988 1'expression ne me semble pas très technocratique, tant pis. Son absence conduit a des effets pervers. Je relaterais pour illustrer celà deux faits vécus. en apparence insignifiants.
    Le premier. accompagnant à la Spérac (filiale créée par Thomson parallèlement à la création de la CII). deux visiteurs de haut rang d'une firme européenne, les personnes qui nous recevaient avaient préparé un exposé entièrement guidé par des noms d'objets et pour chacun d'eux la référence du marché d'études de l'administration ! Pas étonnant qu'après avoir consommé l'argent du contribuable la Sperac disparut dans la CIl.
    Le second est relatif à la visite à la CIl des personnes évoquées ci-dessus. Le président de CII, pour définir la mission de CII, énonça cette éblouissante vérité : nous sommes chargés d'étudier et de produire « les ordinateurs du Plan Calcul »... C'est l'esprit de l'Arsenal.
    Cet aspect de l'activité informatique est en relation directe avec la recherche scientifique. Pour évoquer ce point de vue je me contenterais de reproduire un extrait d'un laïus que M. Ponte m'avait invité à faire au cours d'une demi-journée d'études organisée par la SFEE le 23 avril 1969, exposé qui avait pour titre « recherche et développement dans l'industrie de l'informatique »:

    « En premier lieu la recherche et par conséquent le transfert des résultats de la recherche à l'industrie n'ont de sens que si l'industriel en cause a une politique de produits, véritable guide de son action... Celle-ci est la finalité de la recherche et le transfert concerne alors des étapes successives aboutissant à la production : c'est le but qui détermine l'action.
    La politique des produits n'est que l'une des formes d'expression de la satisfaction des besoins d'une clientèle acquise ou à acquérir, il apparaît alors la nécessité d'attitude prospective sinon l'expression de ces besoins trouvera ses origines dans la situation observable de la concurrence, c'est-à-dire dans le présent donc déjà dans le passé.
    Selon ce point de vue c'est la recherche qui est importante et non son transfert. si l'organisation conduit à poser le problème du transfert c'est que la recherche est mal finalisée et, ou, qu'elle s'accomplit hors d'une responsabilité collective ayant comme cible une production rentable, de produits concurrentiels. Dès lors je ne sais pas distinguer, dans le cadre de ces remarques, la recherche fondamentale de la recherche appliquée et malgré ce qu'on a entendu ici et là le transfert des connaissances et expériences doit être naturel, sinon ce n'est pas le transfert qui est en cause mais la recherche elle. même ou (et) l'industrie elle-même
     »

    Pour clore cette note je citerai la publication suivante :
    O. W. Collier « Programming research in a decentralized multi divisional company » in Research Management, Vol. IX, no3, 1966
    et j'ajouterais ce que je disais à la SEEE le 23 avril 69 :

    « La « recherche » devra permettre d'atteindre trois objectif :
     – renouveler, voire créer, la capacité d'instruire des décisions relatives à l'élaboration d'une politique de produits.
     – déterminer le cadre des actions à entreprendre, si le premier objectif ne peut être atteint, afin qu'il le soit au bout d'un délai estimé compatible avec l'ensemble des décisions du processus politique de produits.
     – permettre d'élaborer des produits, des techniques, des outils de conception et de production.
    Rarement la recherche a pour finalité un produit nouveau, une technique nouvelle. C'est le domaine de l'invention, de l'innovation.
     »

    La dernière phrase mériterait d'être commentée, ce n'est pas le sujet de cette communication.
  26. A. Recogne, F. Becquet « CAB 500 – petite calculatrice arithmétique scientifique », Chiffres, tome 2, no2,1959. Texte reprenant un exposé des auteurs à Automat, congrès 1958 où CAB fut présenté, dans un coffrage en verre !
    F.H. Raymond, « Présentation de deux calculatrices SEA: SEA 3900 et CAB 500 ». l'Onde Electrique, no 405, décembre 1960.
  27. D. Starynkevitch, « Un langage de la SEA. La programmation sur CAB 500. PAF : programmation automatique des formules », Communication à ce colloque.
    Deux notes techniques, de mars et avril 1960 rédigées par Starynkevitch décrivent la programmation du CAB 500 et le PAF donc la conception de PAF est antérieure à 1960.
  28. J'ai perdu le souvenir des CAB 500 exportés sauf celui exposé puis vendu en Chine en 1964 avec un lot important d'éléments de rechange. En une journée ou deux, Starynkevitch, qui m'avait accompagné à Pékin, apprit à une jeune Chinoise l'usage du CAB 500 : ce fut une « élève » remarquable. Au printemps 1968. en Arménie, j'ai retrouvé dans le labo d'une firme d'ordinateurs, l'un des deux CAB 500 livrés aux Soviétiques : les Arméniens m'ont dit qu'il avait été une bonne source d'inspirations... et ils m'invitaient à les informer de nos nouveautés !!
    Licence du CS 500 fut donnée à Yakawa Electric Co via notre filiale japonaise.
  29. F.H. Raymond « Quelques remarques sur les systèmes de traitement d'informations avec bandes magnétiques » revue Chiffres, no3,1960. Je reproduis une phrase de ce texte pour fixer un repère dans le temps: cf. p. 92 :

    « en septembre 1957 nous avons fixé comme voie de recherches à la SEA un système caractérisé par une cadence de manipulation dans un système électronique pour les travaux les plus fréquents qui soit égal à la cadence d'informations à l'écriture comme à la lecture sur bandes magnétiques ».

  30. GFDA . Groupement Financier pour le Développement et l'Automatique, formé par la Compagnie des Compteurs, l'ALCATEL, Schneider (ou J.S !) et SEA. L'existence de cet accord n'empêcha point la Compagnie des Compteurs de créer la SETTI (Société Européenne (?) de Traitement de l'Information (?)) avec une licence Packard Bell. La rupture des accords ! Ça ne se fait pas ! Cela n'empêche pas l'existence des cocus.
  31. F.H. Raymond, L'automatique des informations, Masson édit. 1957 ; réédité en 1962.
  32. Plus tard celle idée, si évidente, fut exprimée par Ivan Illitch d'une manière plus générale. Je crois bien c'était au cours de sa conférence donnée lors du Congrès « Informatique et Sociétés » Paris, 1979.

    « Lorsqu'on prend de l'information stockée en dehors du cerveau humain, on tombe dans des pièges sémantiques. Les ordinateurs fournissent de l'information seulement si un œil est là pour la lire... »

    Quelques mois auparavant, j'avais écrit : « L'informatique manipule les signes le non le sens » dans un court article (« Informatique : réfléchissons un peu... », Sciences et techniques no57. février 1979). Celte phrase fera plaisir à J. Arsac, pour cette raison je la cite ! Elle est présente dans le livre de J.C. Simon, Introduction au fonctionnement des ordinateurs, Masson édit. dans lequel le concept de représentation est très clairement mis en évidence.
  33. F_H. Raymond, « Evolution du Concept de structure d'une calculatrice numérique universelle », Rapport présenté à Palerme le 17 septembre 1956 à la XLVI, réunion de la Societa ltaliana per il Progressa delle Scienze, à laquelle le Professeur Picone m'avait invité. Ce rapport a été publié ensuite dans la revue Automatisme, février 1958, tome 3 no2, p. 56-62. Je livre ce texte à la critique, c'est la raison pour laquelle je le cite.
  34. D. Starynkevitch, « Une structure de machine à liste », RIRO 1ère année no3, 1967 p. 13-31.
    Voir également la communication à ce colloque de S. Herrström qui participa activement à « Axe 2 ».
  35. F.H. Raymond, « Sur le principe de simplicité », (une formalisation de principes informatiques) Revue Technique Thomson-CSF, Vol. 5, no3, septembre 1973.

[Haut de cet article – This paper Top] – Septembre 2006
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