Extrait de Colloque sur l'Histoire de l'Informatique en France, Actes édités par Philippe Chatelin, 2 volumes (461+428 p.), tome 1, p. 387-411 ; Grenoble, mars 1988 ; ISBN 2-9502887-0-7

Le «Plan Calcul»
F.H. Raymond

1. Le « Plan Calcul » que de paroles verbales furent dites ! que d'agitations aussi ! Ma communication se bornera à ce que je peux affirmer et qu'il m'a semblé utile de rapporter ici et bien entendu en me limitant à l'essentiel. Probablement qu'il aurait été utile de rappeler ce que fut l'affaire DRME68. Je renvoie pour situer la question à ma communication sur la SEA et à celle de Henri Boucher.

2. Je reproduis ci-dessous (1) un texte publié en 1983 dont j'ai supprimé le préambule, sans intérêt ici.

Mais je reproduis d'abord deux notes, ref. 22 et 23, qu'accompagnaient l'article de la revue Ordinateurs (no7, février 1983, p. 19-24) publié dans la rubrique, au titre ridicule, « computer story » :

22 Le « Plan Calcul » enfin élaboré par les commissions et les Ministères, il fallait le faire endosser par le Général de Gaulle. Celui-ci se déchargeait habituellement. sur son conseiller Jacques Narbonne de tout ce qui touchait à l'informatique.
Comment « instruire » le Général, acquis au principe de l'indépendance technologique française, mais qui ignorait superbement toutes les implications techniques ?
François-Xavier Ortoli, commissaire au Plan, auteur du Plan Calcul intérimaire, proposa à Michel Debré d'utiliser François R., Directeur de la SEA. Un parent de Debré, Le Maresquier, obtint un rendez-vous à l'Elysée pour Raymond, présenté comme « le premier des informaticiens français ». Son allure martiale, la clarté de son exposé plurent au Général qui se laissa expliquer comment fonctionnait un ordinateur et ce qu'impliquait sa construction. Quand Raymond quitta l'Elysée, il avait séduit et convaincu son hôte. Le mardi 18 juillet 1966, un conseil interministériel, présidé par de Gaulle, adopta le rapport Ortoli. Le « Plan Calcul » était officiellement né.

23 La CAE dépendait de Jeumont-Schneider. À la fin de 1968, la société-mère envisageait de céder 60% de son capital à la firme américaine Westinghouse. Le Gouvernement français s'y opposa. En 1966, CAE produisait le calculateur CAE 10070, basé sur les plans amencains du Sigma 7 de S.D.S. La Société travaillait aussi sur un projet de lecteur optique à grande vitesse.

Voici donc le texte de Interface :

C.R. – Merci de tout cœur de réserver à AFCET INTERFACES la primeur d'un témoignage. Ce sont, semble-t-il deux « notes » (no 22 et 23 jointes à l'article) qui ont provoqué votre réaction. pour permettre à chacun de vous suivre aisément, nous les reproduisons en encart dans cet entretien. Vous pouvez ainsi les commenter, les rectifier.

F.H.R. – Entendu. Je commence donc. D'abord ce n'est pas P. Lemaresquier qui obtint pour moi un rendez-vous à l'Elysée. Je connaissais P. Lemaresquier depuis longtemps et il connaissait la SEA ; peut-être a-t-il pris des initiatives sans que je le sache ; elles furent marginales. Ainsi il vint visiter la SEA, à Courbevoie, avec Allègre, alors au Cabinet de Debré, Ministre de l'Economie et des Finances (2).

C'est le contrôleur Lavigne, du corps du Contrôle de l'Aéronautique, qui prit l'initiative de me faire rencontrer le Colonel Auffray (devenu Général depuis) qui était l'aviateur du cabinet militaire du Général De Gaulle.

Par la suite. je fus amené à avoir de nombreux entretiens avec le Colonel Auffray, à la suite desquels il organisa l'audience accordée par le Général de Gaulle et relatée idiotement dans l'article de
Ordinateurs.

Il ne s'agissait pas de plaire au Général, ni de lui exposer « comment fonctionnait un ordinateur et ce qu'impliquait sa construction » ainsi qu'il est écrit dans
Ordinateurs. C'est une idiotie ! Elle est empruntée au livre de Jublin et Quatrepoint, French Ordinateurs (1976) : les journalistes sont très rarement des historiens ! et même de bons observateurs. Si j'avais été assez idiot pour agir ainsi, en moins d'un quart d'heure le général m'aurait reconduit à la porte de son bureau.

Je ne sais pas si j'ai convaincu le Général de Gaulle, la seule preuve d'attention dont j'ai bénéficié est que l'entretien a duré trois quarts d'heure au lieu de deux quarts prévus et planifiés par son aide camp aviateur, le Colonel Lurin.

J'ai exposé cinq idées au Général ; je n'avais pas préparé un résumé de mon propos car je n'avais, à l'évidence, aucune idée sur le déroulement de ce tête-à-tête. En me reconduisant à la porte de son bureau, le Général lui-même fit le résumé de l'entretien de façon magistrale, précise, claire, comme je n'aurais pas été capable de le faire.

Première idée : l'industrie informatique n'est pas une branche de l'industrie électronique. Elle en diffère par la nécessité de produire des composants électroniques spécifiques, performants et de très grande fiabilité, en très grandes quantités et à terme en production de masse ; Elle en diffère par la nature des actions commerciales (on dirait aujourd'hui la mercantique) propres à assurer une diffusion croissante de produit iriformatiques dans un marché international, international par les besoins et par les fournisseurs. Elle en diffère par l'existence du logiciel et un nombre croissant d'applications dont rien ne permet de prédire les limites, bien au contraire.

Seconde idée : A terme l'informatique sera une des clés (de la production et de la conception) des biens d'équipements de toutes natures. Acquérir la maîtrise de cette clé est donc nécessaire si l'on veut éviter une dépendance économique qui pourrait être intolérable.

Troisième idée : Pour être crédible et assurer un développement progressif et rentable, dans un marché fortement concurrentiel (et ne pas créer un « arsenal » informatique dépendant de subsides de l'Etat, commandes préférentielles et subventions diverses) il faut, dans le cadre d'une politique à long terme clairement élaborée, prendre une part significative du « marché de la gestion », occupé par IBM en particulier, mais ne pas « copier » IBM (ou d'autres).

Quatrième idée : Nous sommes, en informatique, dans un domaine non majeur mais singulièrement dynamique et de façon diverses pluridisciplinaire. Il faut des physiciens, des technologues, des ingénieurs et des informaticiens possédant une solide culture mathématique. Les Français sont doués pour cela et toute action en faveur de l'informatique devra être capable de susciter de nouvelles vocations dont notre économie bénéficiera à terme. L'Etat devra donc apporter son concours financier aux recherches à long terme pendant un certain nombre d'années.

Cinquième idée : Elle est corollaire de la précédente mais elle est justifiée isolément. Si notre pays n'acquiert pas la maîtrise de l'informatique, cela conduira à une frustration grave des Universitaires pour lesquels disposer et dominer l'usage d'outils de calculs de plus en plus puissants est nécessaire au succès de leurs recherches. Pour d'autres la frustration sera de n'être pas des acteurs du progrès, contribuant, directement ou non, à l'évolution de l'informatique. Ils iront alors œuvrer ailleurs, hors du pays, ou, dans le pays, au profit de Sociétés étrangères ou enfin ils se détourneront de l'informatique privant celle-ci, si par ailleurs les actions industrielles réussissaient, du concours nécessaire de l'Université à la pérennité des succès constatés.

Voilà résumées les cinq idées exposées au Général. Dix-sept années après ma mémoire peut me trahir, sur la forme pas sur le fond. (J'ai égaré depuis fort longtemps les notes que j'avais préparées en vue de cette audience ! mais des idées simples, on s'en souvient !).

J'évoquerai enfin, rapidement, l'entretien que j'eus un samedi matin de l'été 1966 avec F.X. Ortoli, au cours duquel je lui exprimais mes réticenses (et critiques) vis à vis des décisions qui jurent prises.

L'entretient fut cordial et franc ; la conclusion d'Ortoli fut « sur le fond vous avez raison, politiquement vous avez tort... ».

C.R. – Est-il d'autres inexactitudes grossières que vous souhaitez souligner ?

F.H.R. – Oui, au moins une.
La CAE ne « dépendait » pas de Jeumont-Schneider (J.S.) mais de CSF (devenu ensuite Thomson-CSF) et de la CGE, ce n'est pas la même chose !

Le groupe Schneider était devenu actionnaire de la SEA quelques années auparavant, précisément en raison de la deuxième idée exposée au Général de Gaulle et dans ce cadre nous avions réalisé un accord avec sa filiale J.S. au terme duquel, en particulier, nous réalisâmes ensemble une unité de production du CAB 500 dans l'usine J.S. de Puteaux. La CERCI est née de la même politique.
A remarquer que J.S., il y a quelques mois, dans un article de presse, reconnaissait que l'expérience acquise lors de la fabrication du CAB 500 fut précieuse pour développer leur activité dans le domaine du téléphone. Quant au « lecteur optique de caractères » évoqué dans la note 23 il existait et fonctionnait correctement... à la SEA.

C.R. – Ces précisions sur l'histoire (... en attendant quelques autres récits que nous espérons bien vous faire conter plus tard  !...) doivent vous inciter à réfléchir sur les orientations que nous pouvons aujourd'hui méditer pour l'avenir : voulez-vous en toute liberté, nous faire part de vos commentaires ?

F.H.R. – Il y aurait beaucoup de commentaires à faire !
Une chose me surprend : l'accroissement continu, depuis des années, du nombre des âneries qui se disent ou qui s'écrivent sur l'informatique. Il y a là matière pour des études de sociopsychologie.
Esprit a visité l'AFCET : A. Danzin nous le révèle lors d'une réunion du Conseil de l'AFCET, voir aussi son interviouve (ainsi écrivait le Canard enchainé) dans le no3 d'1nterfaces. Il serait tentant de rapprocher ce programme des divers « plans », calcul, composants... qui ont marqué l'histoire informatique de ce côté de l'Océan. Je ne peux pas ici (faute de place bien sûr !) tenter ce rapprochement. Sans méchanceté et en caricaturant (un peu !) Esprit n'est-ce pas une étape dans le passage de la technocratie gauloise à la technocratie européenne ?

Les eurocrates constatent que la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie avec des thérapeutiques différentes ont pareillement obtenu des résultats médiocres (dixit A. Danzin). Médiocres ! l'adjectif est faible. Nous devons poser une question : la différence entre les thérapeutiques était-elle la conséquence d'erreurs différentes de diagnostics d'une même maladie ou bien chacun des pays cités était-il atteint de maladies différentes qui n'ont reçu aucune médication efficace ? Cette question n'est pas une boutade.

Seule la Communauté Européenne pourrait retourner l'obstacle des dimensions et changer le climat d'abandon qui commence partout à prévaloir nous disait A. Danzin. L'obstacle de la dimension ! Souvenons-nous d'une époque où les technocrates gaulois, ceux de l'état et ceux des entreprises qui en avaient accueillis ou engendrés, étaient obnubilés par la dimension des entreprises. De là la maladie des fusions dont il serait bien utile de reconnaître les effets pervers qu'elles ont produits, même là où elles pouvaient être justifiées. La dimension de quoi ? de qui ?

Changer le climat d'abandon découvert par les Eurocrates, bien ; il y faut des hommes ayant la foi : la foi ne s'acquiert pas, c'est une grâce. Il faut aussi de l'imagination et de l'enthousiasme... et de la sueur !

Nous sommes dans une situation probablement analogue à celle que nos aînés – les ancêtres de nos jeunes collègues de l'AFCET ! – ont connues ; ainsi par exemple l'Abbé Grégoire proposait à la Convention la création du Conservatoire National des Arts et Métiers afin d'endiguer l'anglomanie qui envahissait le pays. Depuis des décennies nous avons substitué l'américomanie à l'anglomanie... (3) Mais dans le cas de l'informatique les médias ont transformé les inventions, innovations et évolutions des produits et idées en un prestigieux mythe – quel alibi lorsque les médias évoquent une révolution (venue d'ailleurs évidemment !) alors qu'il s'agit le plus souvent d'évolutions prévisibles depuis fort longtemps. Non pas que tout soit prévisible, évidemment, mais les sauts technologiques et techniques, les nouveautés des idées et concepts échappent aux médias et aux technocrates, d'où la révolution de la micro-informatique, une industrie de pointe à évolution rapides... et maints autres vocables qui n'ont aucun sens ?

On peut comparer
Esprit aux « actions concertées » de la DGRST. Créer l'analogue Européen des actions concertées est une bonne idée si celle d'action concertée (avec la connotation DGRST que nous avons connue) est elle-même une bonne idée à ce moment. La preuve n'est pas évidente. La liberté d'expression et d'une certaine manière d'action, des membres des commissions d'actions concertées manière française a permis d'obtenir un bilan finalement positif. Ma crainte est que dans le cas d'Esprit des mécanismes de correction ne puissent jouer tout naturellement.

Ainsi la recherche du consensus peut induire des constantes de temps insupportables et conduire à minimiser les risques de résultats négatifs des contrats. Or minimiser ces risques c'est choisir, sans le dire, une politique de suiveur. N'est-ce pas l'erreur capitale, trop souvent commise par nos compatriotes, de croire que le plus petit risque est d'être suiveur ?

La courbe du chien est une acceptable stratégie si on court vite, très vite, sinon on est condamné à mourir d'un infarctus..

(Cet entretien avec F.H. Raymond, pour AFCET-INTERFACES, s'est tenu le 1er mai 1983). C.R.

3. Ce texte a provoqué une intervention d'André Danzin, sous le titre « Du Plan Calcul au programme ESPRIT, une lente maturation culturelle » (4).

Avant de reproduire le texte d'André Danzin, je veux préciser que ce n'est pas par pessimisme que je comparais le programme ESPRIT aux « actions concertées » de la DGRST... mais pour souligner l'importance de la « liberté d'expression et d'une certaine manière d'action des membres des commissions... » (je me cite). Cette liberté, que j'ai bien connue pendant de nombreuses années, peut elle se développe dans le cas d'ESPRIT ? Si oui et je le souhaite, alors bravo ! Sinon, c'est une sorte de tutelle qui s'instaure, ce que nous avons connu avec le « Plan Calcul »... d'où résulte le dernier alinéa de l'interview d'AFCET-INTERFACES et puis le sous-titre choisi par le rédacteur en chef d'Interfaces, « Du Plan Calcul au programme ESPRIT », est accrocheur mais abusif. Je n'en tiens nulle rigueur à Interfaces ; mon propos était, ne l'oublions pas, de relever les erreurs commises par les journalistes de la revue Ordinateurs.

Voici donc le texte de mon ami A. Danzin :

Chargé par la commission des Communautés Européennes de suivre plus particulièrement la manière dont le programme Esprit est accueilli par les milieux de spécialistes, je ne puis rester sans réagir quand l'un des plus éminents d'entre eux, F.H. Raymond, donne une interview dans Interfaces sous le titre « Du Plan Calcul au programme ESPRIT ». L'admiration que je porte à l'œuvre de F.H. Raymond et l'amitié que j'ai pour notre collègue me dispensent des fioritures. J'irai donc droit au but, soit pour proposer quelques modifications à son message, soit pour lui apporter la contradiction. Il reste l'essentiel, l'intérêt de son témoignage et l'importance de la plupart de ses positions.
J.H.. Raymond rapporte 5 thèses qu'il a soutenues devant le Général de Gaulle.

Première idée – L'Industrie informatique n'est pas une branche de l'industrie électronique.
Cette affirmation est le témoignage de la difficulté qu'ont eue et qu'on peut être encore les informaticiens à faire reconnaître leur identité. Elle est opérationnellement vraie mais globalement fausse car, au moment où se sont passés les événements auxquels s e réfère F.H. Raymond, si certains électroniciens avaient pu reprendre l'affaire Bull, d'une part son avenir en eut été complètement changé, d'autre part l'électronique française en serait sortie elle aussi renforcée.

Ce n'est pas l'informatique qui avait besoin de l'électronique mais l'inverse. On le voit bien aujourd'hui où les modes de traitement, de transmission et de commutation convergent dans le mode numérique et font de larges emprunts au logiciel. On eut ainsi écourté la fastidieuse controverse sur la primauté de l'analogique qui a retardé certaines stratégies de choix techniques en électronique.

Par ailleurs, seule l'informatique pouvait fournir aux composants électroniques des objectifs associant à la fois la demande de pointe et la série de production. Et c'est par dérivation de ces productions que sont nés les composants utilisés massivement et à bas prix par les matériels électroniques d'usage domestiques. Pour les composants, l'ensemble Electronique, Informatique et Télécommunications forme le tronc commun nécessaire à l'inspiration technique et à l'amortissement des frais de lancement et des équipements qui font de cette industrie de la microminiature une industrie lourde en perpétuel état d'anticipation.

Le problème soulevé par F.H. Raymond ne s'arrête pas à cet épisode dramatique du passé. Aujourd'hui encore la question se pose avec acuité comme le montre d'ailleurs les grandes manœuvres qui agitent les puissants groupes spécialisés comme IBM, Philips ou ATT, manifestement tentés ou obligés d'embrasser le domaine d'ensemble des technologies de l'information considérées comme un tout stratégique. Mais F.H. Raymond sera peut être d'accord avec moi si j'ajoute que, dans ce vaste ensemble, la personnalité des différents types d'acteurs doit être respectée et particulièrement le mode de pensée et l'originalité informatiques, ce qui n'interdit en rien la diffusion de ses méthodes et de ses résultats dans le reste du corps d'activités que sont les technologies de l'Information. Pour le moment, on pourrait faire au programme Esprit le reproche inverse, il est strictement informatique...

Deuxième idée – L'informatique, clé de la production des biens et des services de quelque nature qu'ils soient.
Je n'ai rien à ajouter. Je souscris complètement à cette idée générale. J'insisterai seulement sur la précocité du jugement de F.H. Raymond. À cette époque, une telle opinion n'était pas généralement répandue.

Troisième idée – IBM
Je ne sais pas s'il était bon ou non d'évoquer IBM devant le Général de Gaulle mais je suis sûr que, par déformation dans l'action, le message a eu une conséquence désastreuse. Car il a amené les décideurs à se donner, en quelque sorte, la facilité d'identifier un ennemi. Cette idée sommaire a imprégné la mystique du Plan Calcul au point de paralyser l'expression de tout autre concept. Au lieu de mener certes une guerre, non pas contre quelque chose ou quelqu'un mais « pour » le développement de l'informatique sous toutes ses formes, « pour » la promotion des applications, « pour » la participation des utilisateurs, « pour » la réussite d'une originalité française en profitant de la diversité des solutions et des applications que favorisait la mobilité du domaine, on a cru utile de mener une guerre « contre » les multinationales américaines et particulièrement contre la plus forte d'entre elles, cette optique a sous-tendu le choix des objectifs techniques et commerciaux, et bien entendu, le choix de structures. Il fallait que le « champion français » fut le plus gros possible. On a donc procédé par agglomération de corps dissemblables en esprit, en inspiration scientifique, en standards techniques, en alliances internationales et en nature de clientèle. Je veux parler plus particulièrement de la fusion forcée de la SEA et de la CAE.
F.X. Ortoli doit certainement se souvenir de mon intervention dans le même sens que F.H. Raymond ; malheureusement, la décision politique était déjà prise sous d'autres influences si bien que l'écoute attentive et bienveillante qui me fut accordée, ne servit à rien. 15 ans de lutte contre les plus grands producteurs mondiaux de composants m'avaient appris qu'en innovation technique la pire des manières d'engager la compétition en position de faiblesse est d'accepter le terrain de l'adversaire et de se servir des mêmes armes que lui, ce que tous les militaires savent bien. Mais à l'époque, évoquer une situation de faiblesse était faire preuve d'un pessimisme condamnable... Quoiqu'il en soit le choix de l'informatique de gestion, attaqué par des moyens conventionnels, se mit à jouer comme un piège. Il a conduit, notamment, à la politique de garantie des commandes publiques, même lorsque matériels et logiciels n'étaient pas adaptés. Or cette politique rompt l'agressivité commerciale et agit comme une hormone de castration.

Quatrième idée – L'aide à la recherche à long terme.
J'y applaudis pour en souligner toute l'actualité en cet année 1983 et le « pendant un certain nombre d'années » de notre ami François H. Raymond va certainement au delà de 1990.

Cinquième idée –
L'avertissement de François H. Raymond sur les conséquences d'une insuffisance nationale en informatique est, à mon avis, trop accentué sur les dangers de frustration des universitaires et des intellectuels. En fait, c'est toute la modernité de la société française qui était en jeu et qui continue de l'être. Mais cela, je le reconnais, il est plus facile de le faire passer qu'il y a 1  ans et je ne ferai pas l'injure à François H. Raymond de croire qu'il ne le savait pas dès cette époque. D'ailleurs, si les archives de la DGRST ont été correctement conservées, il sera facile de montrer que les comités organisés autour des Professeurs Lelong et Malavard ont débattu, affirmé puis écrit tout ce que l'on admet aujourd'hui sur les conséquences économiques et sociales de nos techniques.
Ce n'est pas tellement les experts qui se trompent ; c'est que leurs messages passent inévitablement par le filtre des conventions, des groupes de pression et de l'ignorance.

Bien entendu, je suis resté sur ma faim en ce qui concerne les avis de F.H. Raymond sur ESPRIT. Si notre ami reconnaît la gravité de la situation, il serait bon qu'il donne des avis en vue d'essayer de parvenir au redressement. Même profondément critique, son opinion serait précieuse à tous. Je ne peux traiter ici tous les aspects sous-jacents à l'agacement exprimé en quelques mots d'esprit plutôt grinçant de l'interview d'
Interfaces. Je voudrais simplement témoigner que j'ai pour les « eurocrates » qui œuvrent au profit d'ESPRIT, le même respect et la même estime que celle que je porte au dévouement, j'oserai dire à l'abnégation, et à la compétence de tous ceux qui ont participé aux premiers rangs, comme F.H. Raymond à la naissance de notre technique et qui continuent de veiller à son développement. F.H. Raymond y ajoutait le génie inventif ; tout le monde ne peut pas apporter cela. Quant au fond, j'essai de m'en expliquer dans mon intervention à la conférence IFIP intitulée « Le jeu subtil des entreprises et de l'Etat dans l'événement de la Société Informationnelle ». Mon hypothèse de travail est que les Etats qui composent la Communauté Européenne ont atteint la maturité

Dans les actes publiés par l'Imag, il manque toute la fin du texte qui s'arrête à la page 391, la page 392 étant alors la première des notes. François Raymond avait donné peu après ce colloque de 1988 les pages manquantes (un recto-verso) à Pierre Mounier-Kuhn qui me les a transmises et que je remercie ici. C'est ce texte qui apparaît ci-dessous jusqu'au filet avant les notes. [J.A.]

culturelle, c'est-à-dire l'alliance du système de valeurs et des modèles de représentation, qui lui permettront de donner au programme ESPRIT, par déformations successives, sa puissance d'efficacité. Et si cela est vrai, nous n'aurons pas perdu notre temps, y compris avec les heurs et malheurs du Plan Calcul car toute cette épreuve était peut-être nécessaire pour acquérir, précisément, cette maturité culturelle sans laquelle tout est vain

4. Je reprends la plume en relisant le texte de Danzin.

Sur la première idée. C'est probablement vrai que les informaticiens n'ont pas réussi à faire reconnaître leur identité et j'ajoute celle de leur naissante discipline. Sauf auprès de Radiotechnique je n'ai jamais trouvé des électroniciens attentifs aux problèmes techniques posés par la SEA et Dieu sait que nous en avions et que nous ne pouvions résoudre seuls ou en misant dans l'humus US. Et puis à l'époque évoquée CSF et CGE n'ont rien fait d'utile ni d'intelligent bien qu'ils eurent le pouvoir dans la Compagnie des Machines Bull (5). Il est probablement difficile de reconnaître si leur intervention dans la direction générale de Bull résultait d'une décision autoritaire du gouvernement d'alors ou si elle résultait d'une stratégie des patrons de CSF et de CGE...

A l'époque, que faisaient CSF et CGE en informatique ?

L'une, CSF, exploitait une licence de Ja firme américaine TRW (6) qui était l'anaJogue (à une homothétie près) de l'actuelle CIMSA (7) du groupe Thomson. L'autre, CGE, exploitait une licence de SDS (8), licence qu'on retrouvera exploitée par la CIl, puis reconduite par CIl.

Sans chercher à nuancer mon jugement, je répéterais ce que je disais alors : si les « électroniciens » ne s'étaient pas mêlés de problèmes auxquels ils ne comprenaient pas grand'chose l'informatique Française n'aurait, peut-être !, pas connu les coûteux errements qui caractérisent jusqu'à présent son histoire.
L'affaire Bull ! ce fut une catastrophe pour des milliers de petits et moyens actionnaires. L'historien devrait s'intéresser à cet aspect de l'affaire car la chute de Bull était prévisible depuis plusieurs années.

Je dois vous rappeler qu'un accord (le second !) liait la SEA et Bull, accord qui fut oublié par les uns et par les autres (sauf par nous !) y compris ceux du ministère de l'industrie qui l'avait imposé à la SEA quelque temps auparavant. Pour le rappeler je fis une visite à A. Peyreffite qui était alors nministre de Ja recherche et du nudéaire (?).

Seul Danzin le rappela en diverses occasions (9).

Après de telles tempêtes, la SEA avait bien du mal à retrouver son chemin c'est-à-dire la poursuite d'une politique de produits cohérente et volontariste. A l'époque volontariste voulait dire hors de la tutelle des administrations, dans toute la mesure du possible.

A. Danzin évoque « la fastidieuse controverse sur la primauté de l'analogique... » ! (relire son texte). Si une telle controverse a existé à l'époque. voilà une information intéressante. De mon point de vue elle n'existait pas, elle n'avait pas lieu d'exister ; je reviendrais sur cette question dans une note annexe.

Pour clore ces observations, je renvoie à (10).

Sur la troisième idée. Je n'ai très certainement pas cité le sigle « IBM » devant le Général ! mais cette restriction était-elle nécessaire ? par hypocrisie ? Mon message n'a donc pas, à cause du mot IBM, eu de « conséquences désastreuses » (dixit Danzin). Le message soumis au Général conncernait (sous le titre troisième idée) l'infonnatique de gestion, et tout le monde savait qu'IBM dominait le marché. On peut séparer totalement la seconde idée de la troisième, aussi je donne en (11) un extrait d'un laïus de 1978. Sans commentaires.

A. Danzin pense que les décideurs ont été &ndash en raison de l'existence d'IBM – amené à « se donner la facilité de désigner un ennemi ». Ennemi ! c'est inexact. Un exemple à suivre, oui ; la CII « regardait » IBM... La stratégie du suiveur n'a-t-elle donc jamais été revendiquée alors qu'elle est évidente et naturellement catastrophique. sauf peut-être si les constantes de temps de l'évolution des techniques et produits sont grandes (voire très grandes), c'est le cas par exemple des chemins de fer et du métropolitain.

5. Durant la relativement courte période faisant l'objet de cette communication, les discussions que j'avais avec des personnes de l'entourage du Général de Gaulle étaient franches et débarrassées de toutes considérations, accessoires ou de personnes. Je me suis abstenu de toute référence à ces visites discrètes à l'Elysée... jusqu'à l'interview d'Interfaces.

Lorsqu'elles prirent fin divers mécanismes se mirent en place, ou en mouvement, auxquels je ne comprenais pas grand'chose ; ils m'auraient seulement surpris si je n'avais été chargé de responsabilités, en premier lieu à l'égard du personnel et des actionnaires de la SEA et tout autant à l'égard des clients restés fidèles. J'avais aussi le sentiment que nous ne méritions pas l'échec qui nous menaçait.

Les lettres reproduites sous (13), (14), (15) donnent une idée du climat qui régnait à l'époque... du moins celui que je percevais.

Cette communication n'appelle pas de conclusions, mais elle provoquera peut être la curiosité ; aussi je laisse à d'autres le soin de raconter la suite des événements me limitant ici à reproduire une courte note (16) qu'il n'est pas nécessaire de commenter. Je terminerai par une observation.

Dans cette affaire, comme dans bien d'autres, avant cette époque comme après, nous avons constaté, la direction de la SEA et moi-même, que très rarement les actes accomplis concrétisent les déclarations et les engagements qui les précédèrent.

Mon propos n'est évidemment pas de tenter comprendre pourquoi si souvent, dans notre pays, des accords sont trahis et des promesses sont oubliées ; ce sujet de réflexions relève de la compétence de l'historien et du sociologue.

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Notes
  1. AFCET-Interfaces no31, juillet 1983, p. 3-6.
  2. Je reproduis ci-dessous une lettre adressée le 19 avri11966 â Pierre Lemaresquier.
     
    Saint-Germain, le 19 avril 1966.
     
    Monsieur Pierre LEMARESQUIER
    Directeur
    INSTITUT SUPERIEUR DES MATERlAUX ET
    DE LA CONSTRUCTION MECANIQUE
    4 & 6 Rue Gambetta
    93 – SAINT OUEN

     

      Cher Ami,

      C'est avec un très grand retard que je viens vous remercier d'auoir accepté d'accomplir une démarche auprès de M. Michel DEBRE... Il y adéjà un grand nombre de semaines. Jusqu'à présent, je n'avais pas des informations très sérieuses à vous communiquer.

      Maintenant – du moins si les centres de décision ne se dispersent pas – grâce à votre intervention et à l'accueil qui lui a été réservée – M. Michel DEBRE a bien posé le problème à MM. GASPARD et AMBROISE ROUX. Ce qui n'entraîne pas que la solution soit aisée à élaborer à ce niveau. Du moins de notre côté ce n'est pas un jeu ambigu qui sera mené.

      Entre temps, j'ai été convoqué par le Général de GAULLE après avoir eu des conversations avec son entourage (Colonel AUFFRAY, MM.vNARBONNE et LOSTE).

      Plus récemment. j'ai remis à ces Messieurs le rapport « Politique Calculateeurs « rédigé à leur demande. Il serait utile – et courtois – qu'il soit remis à M. Michel DEBRE directement et non par l'intermédiaire de son entourage,

      Selon votre conseil. j'ai rendu visite de votre part à M. ORTOI : accueil sympathique, de plus d'une heure.

      Mais les « grenouillagesv» continuent ! Si je n'avais pas été en Hollande hier, dtmanche, je vous aurais fait parvenir cette lettre et la note jointe, car hier, à l'E1ysée, ont du se réunir les Ministres intéressés au sujet. Alors peut-être auriez-vous estimé utile de la remettre avant à M. Michel DEBRE.

      Merci infiniment de vos efficaces interventions et croyez, Cher Ami. à ma fidèle et dévouée amitié.

    F.H. RAYMOND
    Clairement cette lettre montre l'inexactitude de ce que dit Ordinateurs au sujet de ma visite au Génêral de Gaulle.

    Cette lettre mentionne une visite à F.X. Ortoli. Ce n'est pas celle évoquée dans le texte d'Interfaces. D'après un compte rendu écrit le 24 février 1966 c'est le 22 février 1966 que j'ai obtenu le rendez-vous avec Ortoli faisant l'objet du compte rendu reproduit ci-dessous :

    CONFIDENTIEL 24 février 1966
    FHR/ MV


    Bref compte-rendu entretten du 23 février 1966 avec M. ORTOLI
    1. Je complète les pièces A et B qui lui furent envoyées par les deux notes remises à M. DEBRE (l'une « Le problème calculateurs – point de vue de la S.EA. », l'autre « Note sur l'affaire Bull »).
    2. J'expose en résumé l'aspect du contenu de l'ensemble de ces documents.
    3. Ses deux questions importantes furent :
      – quelles relations avez-vous ou avez-vous eues avec CITEC ?
      – que doit-on penser de l'industrie des composants ?

      Je ne rapporte pas le détail de mes réponses :

      – pour répondre à la première question, j'ai pris comme point de départ l'époque de la faillite de Bull et l'intervention de CSF et CGE ;
      – en bref les relations entre CITEC et S.E.A. n'exîstent pas ;
      – aucune n'a pu être renouée faute de communication des rapports EXPELl et BOITEUX,
      – dès Octobre 1965, el1es étaient corollaire des rapports GASPARD-AMBROISE -ROUX
    4. Ensuite. M. ORTOLI a longuement exposê son point de vue que je résumerai ainsi :
      – Il ne croit pas à la création d'une grande industrie en rassemblant les uns et les autres :
      – manque de détermination des industriels,
      – manque d'hommes,
      – manque de réseau commercial,
      – manque d'objectifs successifs ;
      – il croit à la vertu d'action importantes de nature à satisfaire des besoins exprimés par l'Administration et quelque peu prospectifs ;
      – il conditionne toute action à la résolution exprimée clairement des industriels ;
      – s'il reconnaît qu'on peut reprocher à l'Etat ses manquements, il reproche aux industriels l'absence de vues claires, simples et à long terme, d'où résulterait l'appréciation précise des étapes.

      Il reconnaît que la position exprimée par M. GASPARD est claire (mais quels engagements le Groupe prendrait ? J'ai cru discerner cette question) ;
      – Il rappelle sa position au moment de l'affaire Bull ;
      – Bull n'avait pas de technîques, ni de produits,
      –  elle avait un réseau commerctal.

      Le point 1 entraînant, selon. lui, l'abandon de la firme : dès lors, les actionnaires pouvant rechercher un acquéreur pour 2).

      Seulement dans le cas où AMBROISE ROUX aurait pris des engagements – avec l'argent de la CGE et non celui de l'Etat – M. ORTOLI aurait changé d'avis.

      – Il va étudier le dossier calculateurs dimanche prochain.

      Pour lui, il croit discerner :

      – l'avenir de l'industrie électronique,
      – l'avenir de l'industrie des biens d'équipements industriels,
      – les rapports entre ces deux industries.

      Seulement après, dans cette approche intellectuelle, le problème calculateurs prend une signification.
    5. Il est certain que le Groupe aurait intérêt pour prendre définitivement l'initiative en ces affaires, d'énoncer clairement sa politique interne et externe. M. GASPARD semble avoir la cote. M ORTOLI a bien le sentiment – il me l'a exprimé – du poids excessif en ces affaires, des hommes. événements récents, des positions des circonstances et que tout celà est malsain.

    Que sera l'objectif pour notre industrie dans 20 ans ? Voilà sa question fondamentale exprimée ainsi.
    F.H. RAYMOND


    Je ne veux pas alourdir ces notes annexes. toutefois le premier document officiel signé par Ambroise Roux, M. Ponte et R. Gaspard est très probablement une lettre du 13 juil1et 1965 adressée à M. Ortoli, Commissaire Général du Plan d'Equipement et de la productivité – L'historien devrait bien visiter les archives de la rue Martignac ! – Le dernier paragraphe de cette lettre mérite d'être reproduit :

    « Une deuxième sêrie d'actions communes au niveau des deux sociétés visera en particulier :
    – l'établissement définitif du programme technique, compte-tenu des indications du gouvernement et de l'échéancier des besoins,
    – les modalités pratiques d'exécution..
    . »

    Ainsi le gouvernement avait à donner des indications techniques... les trois signataires s'exprimaient comme s'ils étaient responsab1es d'Arsenaux. Les deux sociétés, cf. début de la citation, sont évidemment CAE et SEA.
  3. et maintenant on peut dire que les regards sont tournés vers le pays du Soleil Levant.
  4. AFCET-Interfaces, no13, novembre 1983, p. 28-30.
    A la fin de son intenreniion A. Danzin attendait de ma part des avis. Je n'avais nullement l'idée de donner des avis, ni le droit de le faire faute de connaître dans le détail le programme ESPRIT.
  5. Voir G. Vieillard L'affaire Bull, en dépôt, à l'époque à la Librairie Chaix à Paris.
  6. Thomson Rama Woolridge.
  7. Compagnie d'Informatique Militaire, Spatiale et Aéronautique.
  8. Scientific Data System – L'historien intéressé pourra interroger Varda qui proposa cette licence à Ambroise-Roux. Varda est dans l'annuaire de l'X.
  9. Et des « axes de recherches » furent élaborés. J'ai pu ainsi faire financer l'axe 2 par la DRME, projet d'une machine à listes et préfixes qui me tenait à cœur. D'où le vocable parfois utilisé « machine axe 2 » par ceux qui se souviennent. Bien entendu, cet axe n'a jamais intéressé personne hormis quelques personnes à la DRME et à la SEA ! que furent les autres axes ? je n'en sais plus rien, car ils concernaient Bull et CSF + CGE et ne m'intéressaient vraiment pas !... c'était l'affaire de Bull, CSF et CGE ! – L'historien pourra enquêter !

    Je terminerai par la reproduction d'une note rédigée en 1964 (65 ?) par G. de Contenson, ancien président de la SEA.

    Note sur l'affaire Bull


    1. Fin 1962 et début 1963, les Pouvoirs Publics (Ministère de la Recherche scientifique, DIME) ont pressé la Société d'Electronique et d'Automatisme (SEA) de conclure un accord avec la Compagnie des Machines BULL (CMB) : l'accord signé le 20 mars 1963.

    2. EVOLUTION
      De mai à juillet 1963, SEA faisait part de ses craintes aux Pouvoirs Publics et en particulier au Ministre de la Recherche Scientifique : conséquence du retard apporté au lancement du programme fondamental de recherche et nécessité de réformes urgentes de structure et d'assainissement chez BULL.

      A partir d'octobre 1963, l'accord tripartite SEA/GROUPE SCHNEIDER-CMB est devenu pratiquement inopérant, car les difficultés financières de CMB dominaient tous les autres problèmes posés à CMB et à l'association issue de l'accord.

    3. RECHERCHE D'UNE SOLUTION FRANÇAISE POUR LES PROBLEMES CMB
      En 1963, BULL qui ne disposait d'aucune politique industrielle et commerciale et qui se trouvait au bord de la faillite (pertes totalisées 1963 et 1964 : 205,7 millions) a recherché une aide gouvernementale et une aide de banques ou de sociétés.

      Côté gouvernemental : Le ministre de la Recherche Scientifique, dès fin 1963, réunissait les responsables de CMB avec ceux de la Compagnie Générale d'Electricité (CGE) et de la Compagnie Générale de CSF (CSF), pour rechercher une solutions basée sur une entente entre ces sociétés pour le Développement des Recherches.

      Le 15 février 1964, un protocole d'accord fut signé en présence du Ministre entre les sociétés ci-dessus, la Banque de Paris et des Pays-Bas et le crédit National ayant en vue l'augmentation de capital de BULL. En contrepartie, les nouveaux actionnaires obtenaient 213 des sièges du conseil d'admiruslration de BULL. Les assemblées générales des 14 avril et 12 mai 1964 entérinaient ces accords.

      Côté extérieur : après avoir signé auparavant des accords techniques et commerciaux avec RCA, puis avec SEA et le Groupe SCHNEIDER, BULL s'est tourné vers la General Electric. Les pourparlers ont abouti, le 18 décembre 1963, par une proposition de la GECO de prise de participation de 20% dans le capital BULL : proposition rejetée par le gouvernement le 4 février 1964.

      Nouveau protocole du 9 avril 1964 avec la GECO, lui aussi rejeté par le gouvernement. Le Gouvernement autorisait ensuite BULL à accepter les offres de la GECO. Un protocole du 1er juillet 1964 fut ratifié par l'Assemblée Générale du 12 novembre, autorisant BULL à modifier sa structure et à créer trois nouvelles sociétés :
       – B.G.E. : Cie Bull Général E1ectric – capital 49%, 51 %GECO
       – S.I.B.G.E. : Sté Industrielle Bull General Electric – capilal Bull 51%, GECO 49%.
       – PC.B. : Sté de Promotion Commerciale Bull - capital Bull 51 %, GECO 49%.

      L'ancienne compagnie des Machines BULL écait alors transformée en holding. Dès lors, la totalité des actions CMB passait sous le contrôle de la GECO.

    4. ACTION DU GROUPE CGE - CSF Parallèlement au règlement de l'affaire BULL, la CSF et la CGE (qui conservaient cependant les parts acquises dans le capital CMB) avaient pris la décision de créer une société commune dont elles possèderaient chacune, 50% du capital : la Compagnie pour l'Infonnatique et les Techniques Electriques (CIlEC).
      Cette société qui regroupait, entre autres, la Compagnie Européenne d'Automatisme Electronique du Groupe CSF et la Compagnie Européenne de calculateurs industriels du Groupe CGB recevait ainsi le droit d'exploiter les licences des sociétés américaines SCIENTIFIC DATA SYSTEM et THOMSON-RAMO-WOOLRIDGE.

    5. ARBITRAGE BULL-SEA/CERCI Les différents entre SEA/Groupe SCHNEIDER et BULL sont soumis à l'arbitrage  SEA et le Groupe SCHNEIDER demandent, à titre d'indemnité, le remboursement des pertes entraînées par le non-respect de raccord, soit respectivement 12 millions et 7,4 millions.

  10. Est reproduit ci-dessous un artic1e publié sous la signature de Louis Chavernes ; la photocopie dont je dispose ne portant pas la mention de la revue dans laquelle il fut publié et l'ayant oubliée je m'excuse de ne pouvoir la donner au lecteur désireux de remonter aux sources et de vérifier les faits relatés par Chavernes.

    L'INTENTION D'UNE FUSION  LA C.I.T,E,C,


    L'émotion soulevée par « l'affaire Bull », et surtout l'impuissance où se trouva le gouvernement de la régler à son gré, conduisirent celui-ci, dès le début de l'année 1964, à susciter la création d'un groupe « français » qui se spécialiserait, avec le maximum de moyens privés et d'appuis publics, dans l'étude et la production des ordinateurs. Et, à en croire les sociétés intéressées, qui se plurent aussitôt à en souligner le caractère peu ordinaire (« Conformément au vœu des grandes administrations civiles et militaires... »), sans cette intervention gouvernementale, la C.I.T.E.C. (Compagnie pour l'informatique et des techniques électroniques de contrôle) ne serait sans doute pas née, du moins de sitôt.

    Le cas est donc ici celui d'un regroupement réalisé sous la seule pression d'un facteur extérieur et qui n'a pas encore abandonné la marque ambiguë de son origine : la C.I.T.E.C. existe légalement, mais les sociétés, les établissements, les départements qui la composent, n'ont pas été confondus en un appareil unique de production, géré par une stratégie homogène. La C.I.T.E.C. n'est encore que l'ombre, ou l'espoir, d'une fusion.

    Des apports hétéroclites

    Lors des péripéties de l'affaire Bull, le gouvemement avait déjà sollicité la C.S.F. et la Compagnie générale d'électricité, au nom de leur compétence en ce secteur industriel. Avec plus de respect que d'enthousiasme, elles avaient accepté en février-mars 1964 de s'engager pour des sommes relativement importantes dans une opération que le gouvernement croyait encore pouvoir mener à une conclusion « française ». Les choses allèrent différemment, la fusion Bull-General Eleçtric s'accomplit, et les accords de février furent révisés : la C.S.F. et la C.G.E. se dégagèrent pour l'essentiel.

    Restait la demande gouvernementale parallèle, adressée également à la C.S.F. et à la C.G.E, de rassembler leurs propres moyens de production dans le domaine des calculateurs. Moyens modestes, presque artisanaux encore, comparés à ceux de leurs grands rivaux internationaux, mais suffisants cependant pour constituer l'embryon d'une industrie nationale – si la concurrence lui laissait le temps, et l'occasion, de se développer. Un protocole, signé en juillet 1964, prévoyait une association à part égales, qui prit fin novembre la forme d'une société anonyme au capital modeste (un million), la C.I.T.E.C.

    Il était convenu que chaque société-mère apportait à la C.I.T.E.C. toutes ses participations et départements relevant des calculateurs. Et cela faisait peu : l 500 salariés, une centaine de millions de chiffre d'affaires, dispersés en une dizaine d'affaires différentes.

    Les apports C.G.E.

    Dans l'écheveau particulièremem embrouillé des filiales de la C.G.E, la jeune activité des calculateurs était polarisée autour de la C.I.T. (ex-compagnie industrielle des téléphones, devenue Compagnie industrielle des télécommunications). Possédée à 80% par la C.G.B, elle croissait depuis plusieurs années à un rythme étourdissant, multipliant les prises de participations, les sous-filiales – et ses propres usines. Mais ses domaines étaient variés : téléphone, radio, télécommunications, radars, etc., faisant de la C.LT. un groupe industriel en soi, d'une dimension financière déjà appréciable (250 millions de chiffre d'affaires). D'un tel complexe, comment détacher les services concourant à l'élaboration des calculateurs ? Les uns dispersés géographiquement et structurellement enlre d'anciennes fiiiales de la C.I.T. (C.E.G.I.S.).

    Cette incohérence apparente reflétait peut être certaines traditions décentralisatrices propres à la C.G.E. Mais, comme elle était retrouvée également, quoiquc à un degré moindre, dans la branche calculateur de la C.S.F., on la reliera plutôt au caractère expérimental que conservait encore le « calcul » au sein de l'univers C.G.E. : en fait, ce n'est qu'en 1963 que la formulation d'une division de « l'information » a parut dans le langage C.G.E, avec le transfert au centre de Nozay-Villaraux des équipes spécialisées de la C.LT.

    Il fut donc convenu que la C.G.E. apporterait, en vrac en quelque sorte, à la C.I.T.E.C. ses diverses activités en relation avec le calcul. Il s'agissait de :
     – la « division » de la C.LT.
     – La participation (79%) de la C.G.E. dans le groupe Lepaute et son associée, la Compagnie générale d'automatisme. Cet ensemble industriel, qui se consacre aux asservissements de toute nature, aux appareils de mesure et à l'horlogerie électronique, possède un marché beaucoup plus large (chemins de fer, parkings automatiques, etc.) que celui des calculateurs eux-mêmes. Mais l'imbrication des techniques est telle ici qu'il n'a pas paru possible d'isoler un département calculateur qui aurait été transféré à la C.I.T.E.C. C'est donc celle-ci qui se trouvera demain posséder des activités annexes.
     – Autres filiale de la C.I.T, créée en 1963, la Compagnie européenne de calcuIateuris industriels et scientifiques (C.E.G.I.S.) devait avoir pour le calcul le rôle d'architecte tenu déjà par la C.G.A. pour l'automatisme. Elle eut le temps d'obtenir des commandes d'appareils scientifiques pour le CN.E.T. et le C.E.R.N. avant d'être transférée à la C.I.T.E.C.
     – Dernier apport de la C.G .E., la société A.E.R.I.A est spécialisée dans le dosage et le pesage automatique.

    Si l'on excepte les usines du groupe Lepaute, mais dont l'essentiel de la capacité a d'autres objets que le calcul, et le centre récent de la C.l.T. à Nozay-Villarceaux, les apports de la C.G.E. à la C.I.T.E.C. ont aussi des contours matériels assez flous.

    Les apports C.S.F.

    Avec le développement rapide, depuis cinq ans, de sa Compagnie européenne d'automatisme électronique, la C.S.F., avait pris une certaine avance commerciale, sinon technique, sur le marché du calculateur industriel de contrôle (process control). Avec 60 – mîllions de chiffre d'affaires en – 1965 et l'espoir de 110 – millions en 1966, la C.A.E. affirme tenir 70% de ce marché en France et 40% dans le Marché commun. De fait, la C.A.E. est une entilé homogène, possédant sa propre usine à Boulogne-Billancourt transférée aujourd'hui dans un ensemble à Clayes-sous-Bois), une filiale en Italie et des bureaux commerciaux dans plusieurs pays ouest-européens. Toutefois, si la C.S.F. est opératrice à la C.A.E, elle n'en est pas la propriétaire absolue. La compagnie fut créée en – 1960, à un moment où la C.S.F. possédait peu d'expérience dans le domaine du calcul et éprouvait le besoin de s'appuyer sur une technique éprouvée. Elle s'associa donc la Thomson Ramo Wooldridge américaine (Intertechnique fut le troisième partenaire pour fonder la C.A.E., dont elle ne conserva que 40% du capital, laquelle part, et elle seule, est transférée à la C.I.T.E.C.

    Outre la C.A.E., qui constitue plus de la moitié du potentiel de la C.l.T.E.C., celle~ci reçoit de la C.S.F. divers organismes et participations :
     – AN.A.L.A.C. possédée à 51 % est un centre de calcul analogique et dont la vocation s'étend à la mise en œuvre de systèmes chez la clientèle scientifique.
     – Plusieurs bureaux et services de la C.S.F. même la branche militaire de la division traitement de l'information ; le département automatisme, le G.E.S.E.L. (Groupement des exploitations électroniques).

    Les productions de la C.I.T.E.C.

    Venue tard sur un marché dominé par les compagnies américaines et leurs associés, la C.I.T.E.C. et ses sociétés-mères ne pouvaient avoir que des ambitions sélectives. La grande série, d'une part, et les très grands ordinateurs, d'autre part, leur étaient interdits pour des raisons économiques et technologiques évidentes. Par contre, la voie du « process control » et du petit système spécialisé, adapté à une fonction bien particulière, n'intéressait jusqu'alors que médiocrement les compagnies internationales. c'est elle que la C.G.E., avec son premier appareil C.LT.A.C. et la C.S.F. avec son RW 300, empruntèrent au début de la décennie en cours.

    La série destinée au contrôle industriel (C.A.E.-51O) a trouvé un marché relativement facile. Mis en vente en juin 1963, l'appareil avait été livré à 70 exemplaires fin 1965, la chimie et les autres industries européennes à production continue fournissant la base de la clientèle. L'essor de l'industrie nucléaire, dont les exigences en matière de contrôle sont rigoureuses, ouvrit un autre marché à la C.A.E. et à la C.l.T.
    En ce qui concerne le matériel spécialisé de faibles dimensions, les commandes en calcul scientifique émanent surtout du marché français, tandis que les applications militaires et spatiales étaient abordées en 1963.

    Que peut espérer la C.I.T.E.C. dans le proche avenir, sur la base des moyens qu'elle a regroupés ? La demande potentielle de systèmes de ' « process control » est considérable, mais ne peut être concrétisée qu'au niveau des ensembles industriels déjà importants : on estime qu'en France le parc quadruplerait d'ici 1970. L'un des avantages de cette production (pour la C.LT.E.C.) est qu'elle existe moins du producteur de moyens financiers que celle des ordinateurs de gestion dont le débouché immédiat est plus vaste mais nécessite une formule locative dont la charge fut insupportable à Bull. Ici, l'appareil, d'un coût plus modeste, est vendu comptant parfois en copropriété dans la phase actuelle de « lancement ».

    Quant aux calculateurs spéciaux, civils ou militaires, voués par définition à une fabrication artisanale, ils donnent lieu à un débat de fond qui est loin d'être épuisé. En effet, en poussant à la concentration C.G.E.-C.S.F., le gouvernement avait en vue la formation d'une infrastructure industrielle qui serait appelée à lui procurer les « gros » calculateurs spéciaux nécessaires aux activités de pointe (espace, nucléaire, recherche fondamentale) que les compagnies internationales paraissent sc refuser à fabriquer en Europe et donc l'exportation hors des Etats-Unis est toujours suspendue à une autorisation des autorités américaines.

    L'objectif officiel était donc moins économique et commercial que politique et stratégique. Mais on aborde ici un niveau technico-économique hors d'atteinte d'une société aux dimensions de la C.I.T.E.C., même appuyée sur les deux puissants groupes qui l'on fondée. Aussi, une autre étape est-elle envisagée par les pouvoirs publics, celle d'un rapprochement entre la C.LT.E.C., et les producteurs anglais L.C.T. et E.E.L.M. aux fins d'étudier un « gros » calculateur européen dont la mise au point serait longue et coûteuse et le marché probablement étroit. Dans le moment présent, il s'agît plus d'une intention, d'un vœu, que d'un projet de mûrissement : il déborde trop les contraintes économiques pour se développer spontanément au sein des entreprises.

    Sur le seul terrain qu'elle ait vraiment dépêché, celui du calcul industriel, la C.I.T.E.C. reste cependant loin d'être assurée des positions qu'elle a acquises. Marché provisoirement ouvert à la petite série et aux entreprises moyennes, il accueille aujourd'hui divers concurrents: A1catel, le groupe Schneider, la Compagnie des compteurs, Philips. surtout, il est évident que l'indifférence des deux « Grands », IBM et GE, n'est que tactique. Ils sont d'ailleurs présents sur le marché (IBM détient environ 20% du marché français du « process control »), rappelant à chaque instant qu'ils existent et que leur politique de firme les écarte d'une demande, certes en expansion rapide, mais encore jugée trop étroite. Que la C.LT.E.C. essuie les plâtres ne leur déplaît pas ; elles feront irruption lorsque le marché appellera la grande série et, alors, prétendront se jouer d'une C.I. T.E.C. – à moins qu'un miracle ne vienne à point renforcer celie-ci.

    Une fusion hésitante

    Ce miracle ne saurait être que le processus de fusion lui-même, dans la mesure où elle est conçue avec rigueur, où nulle défaillance n'en viendra affaiblir les effets supposés multiplicateurs. La C.I.T.E.C. présente-t--elle à cet égard toutes les garanties souhaitées ?

    Depuis sa constitution en société anonyme au capital d'un million de francs, le 30 novembre 1964, la C.I.T.E.C. en tant que tel1e ne semble avoir connu qu'une existence végétative. La mise à jour du capital, en fonction de la valeur des apports effectifs, n'a pas. été annoncée. Le regroupement industriel ne s'est pas concrétisé. Les principales sociétés fusionnées, la C.A.E., l'A.N.A.L.A.C., la compagnie Lepaute, continuent d'œuvrer avec leur ancienne autonomie relative (la C.A.E., par exemple, a procédé en mars à une augmentation de capital), la seule innovation consistant à les qualifier de filiales de la C.I.T.E.C. Lorsque des commandes intéressantes font l'objet d'un communiqué publicitaire, elles sont attribuées moins à la C.I.T.E.C. qu'à la C.A.E., ou à la C.I.T. Tout se passe, en réalité, comme si la C.I.T.E.C., conçue il y a plus de deux ans, n'existait pas encore et ne ressentait point d'urgence à se dessiner les traits exemplaires promis par l'opération de concentration.

    Maladie ordinaire de jeunesse ? Difficultés ou feintes de rassembler, ne serait~ce que géographiquement des services épars et qui ne font des calculateurs qu'entre autres choses ? ou façon polie de rappeler à l'Etat qu'une fusion n'est pas une fin en soi, qu'il ne suffit pas de la vouloir pour la valoriser et qu'en l'état actuel des conditions de producûon et du marché, plus apparente à l'artisanat de pointe qu'à la grande industrie, les besoins d'une restructuration suppose qu'il s'inscrive dans un contexte plus large où la discipline ne soit pas le seul fait des entreprises regroupées ?/p>

    Aucune de ces hypothèses n'est à rejeter, mais la dernière a sans doute le plus de poids, si l'on en juge par cc commentaire de M. Maurice Ponte, président de la C.S.F., à propos de sa réponse positive au vœu des grandes administrations civiles et militaires :

    « L'indépendance de l'électronique française suppose que cessent les restrictions aléatoires ainsi que les incertitudes actueIles des Commandes de l'Etat et de ses programmes de recherche. A cet égard, il paraît nécessaire que soit évitée la dispersion des crédits affecté à la recherche scientifique, technique et technologique, et que les programmes soient établis en partant de la base pour arriver plus tard à des applications. en renversant l'ordre de ces facteurs, les moyens français, déjà limités, sont consacrés à reproduire avec quelques années de retard ce qu'ont réalisé d'autres nations, alors que sont négligées les recherches de base qui, seules, pourraient nous pennettre d'espérer trouver de nouvelles voies, de bâtir de solides fondations à l'ensemble de l'économie et d'assurer des débouchés à l'exportation. c'est tout spécialement le cas du calcul électronique et de ses composants modernes, trop négligés par la recherche française alors que, dans cinq ans, ils commanderont à toutes les activités nationales.
    Par ailleurs, l'économie et la modernisation des moyens conduisent à la mise en commun d'activités françaises analogues. A cet égard, nous nous félicitons des accords conclus avec la Compagnie générale d'électricité dans le domaine du calcul électronique et de ses applications. Nous espérons que le marché ne se dispersera pas de nouveau »

    Ces avertissements étaient donnés le 12 juin 1965, six mois après la naissance de la C.I.T.E.C. Et si six mois plus tard l'Alcatel 2412 était mis sur le marché tandis que la Radio-Technique ne livrait plus selllement ses « plans-mémoires », mis aussi des ensembles complets de calcul !...

    Cet article compone des affirmations abusives et peut être des erreurs que je n'ai pas vues. J'en relèverai deux, La première : le poids financier de la location des matériels de l'informatique dite de gestion. C'est une affIrmation répétée ici et là à toutes époques, comme celle, si commode du « gros ordinateur » que les (vilains) américains refusèrent au Général pour sa bombe atomique... ce n'est pas sérieux. Le poids des locations est parfaitement supportable si, première condition à satisfaire, le coût de production des produits est une fraction modeste du prix de vente.
    La seconde : la fabrication artisanale des calculateurs spéciaux, civils ou militaires. Fabrication en petite série oui, artisanale non ! les ordinateurs de régulation de procédés ou machines com.me les ordinateurs « militaires » doivent avoir une très grande fiabilité et celle-ci ne s'obtient pas par l'artisanat.
  11. Extrait de mon laïus intimlé « La recherche en informatique en France » fait au cours du dîner Afcet-Paris novembre 1978, présidé par Pierre Aigrain, à l'époque secrétaire d'Etat à la Recherche :

    « Pour les technocrates, l'informatique s'identifie à ses applications à la gestion : certes le marché correspondant est encore le plus important, mais il est aussi celui où le mythe informatique persiste sous des formes pernicieuses et où l'omhre portée du nol attire les regards, focalise l'attention.
    A terme, ce n'est pas le marché dont l'impact sur l'économie sera le plus important. Une activité économique industrielle ce n'est pas seulement une saine gestion et une bonne organisation, c'est d'abord :
      – des produits, des techniques, des technologies
      – une maintenance efficace
      – des innovations
      – des inventions
      – une recherche en amsont.
    Evidence cela
      – !
    Evidence aussi que l'informatique a et aura un rôle éminent à jouer au bénéfice de ces objectifs.
    Cela me semble trop souvent oublié.
     »

    Maladroitement sains doute, douze ans plus tôt je tentais de faire accepter ce message par diverses personnalités... et même au Général ! Si le lecteur le permet pour lui éviter de revenir en arrière je répèterais le début de la « seconde idée » :

    « A terme l'informatique sera une des clés (de la production et de la conception) des biens d'équipements de toutes natures. »

  12. Rappel de quelques dates ; celles des premiers « métros » en exploitation : Londres : 1863, Berlin : 1871. NewYork : 1812; Vienne : 1898, Paris : 1900. Certes je fais preuve de mauvais esprit, mais j'interroge l'historien : les deux premiers tronçons de lignes du métro de Paris ont-ils été décidés pour répondre au besoin des parisiens ou pour ne pas passer pour des idiots lors d'une exposition universelle ? Elles furent équipées de produits américains et financées par un groupe et une banque belges.
  13. Ci-dessous lettres du 2 mai et du 6 mai au Colonel Auffray et lettre du 22 juin 1966 à M. Allègre.

    Saint-Germain, le 2 mai1966.
     
    PERSONNELLE
    Monsieur le Colonel AUFFRAY
    PRESIDENCE DE LA REPUBlIQUE
    Etat Major Militaire
    Palais de l'Elysée
    53-57 Rue Faubourg Saint Honoré
    PARIS (8ème)
     

      Cher Ami,

    Je vous fais tenir ci-joint la note « Le Grand Calculateur » dont j'adresse l'original à M. PEYREFITTE en lui demandant une audience. J'ai demandé la semaine dernière à M. DROUIN d'en faire la demande à son Ministre.

    Lorsque j'ai tenté de faire le point et de voir clair : qui a raison ? ne suis-je pas dans l'erreur  Je suis conduit à me dire : et puis zut j'envoie tout balader, car après tout, il me semble jusqu'à présent, que la recherche en premier lieu, de l'intérêt général, passe après le « grenouillage ». Ainsi, je finis par penser que la méthode de REMILLON est la bonne qui consiste – ainsi que nous en avons de nombreux échos – à dire, à affirmer que la CITEC aura en toute certitude les « 30 milliards   des contribuables, parce qu'il ne peut pas en être autrement.

    Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués et reconnaissants.

    F.H. RAYMOND      

    Saint-Germain, le 6 mai1966.
     
    PERSONNELLE
    Monsieur le Colonel AUFFRAY
    PRESIDENCE DE LA REPUBlIQUE
    Etat Major Militaire
    Palais de l'Elysée
    53-57 Rue Faubourg Saint Honoré
    PARIS (8ème)
     

      Mon Cher Ami,

    L'autre jour, M. LOSTE selon son rythme interrogatoire habituel, et par moment déconcertant (mais grâce à Dieu le personnage est fort intelligent),m'interrogeait encore sur le problême des composants.

    Je pense qu'il semit extrêmement profitable qu'un homme qui connît le mieux la situation, soit reçu par vous – et après, éventuellement par M. LOSTE– c'est l'ingénieur en chef BERTRAIS du S.Y.TAé.

    Je le connais très bien. il est au Comité de l'Electronique de la DGRST et anime la commission « Semi-Conducteurs » de ce Comité. Ses compétences sont soutenues par un bon sems qui fait chez d'autres bien défaut. Nous ne sommn pas toujours du mène avis, c'est évident. Acuase de cela, je crois utile que vous s le receviez.

    Je m'excuse de vous suggérer cette idée et dans l'attente du plaisir de vous revoir, je vous prie de croire, Mon Cher Ami, à mes sentiments aamicalement dévoués.

    F.H. RAYMOND      

    Saint-Germain, le 2 juin 1966.
     
    PERSONNELLE
    Monsieur ALLEGRE
    Cabinet du Ministre
    MINISTERE DES FINANCES ET AFFAIRES
    ECONOMIQUES
    93 rue de Rivoli
    75 PARIS 1er
     

      Cher Monsieur,

    Pourquoi ajouter à notre dernière conversation : parce que je suis surpris par la persistance du ton avec laquelle la Presse s'intéresse au sujet, parce que l'article de VICHNEY dans Le Monde d'avant-hier soir fait allusion à des questions de personnes.

    Aucun dialogue n'a été établi entre la CAE et la SEA, hormis un monologue de M. REMILLON à M. RENAUDIN

    Alors que bien des efforts sont à entreprendre, il est triste de constater, à nouveau, que le climat instauré par la CITEC rend difficile une union logique et raisonnable dont la réalisation impliquait beaucoup de sérénité.

    Celle période de dialogues aurait dû être marquée par la courtoisie, dans un climat de trêve si j'ose m'exprimer ainsi. Le questionnaire de M. ORTOLl aurait du être l'occasion d'échanges permettant de se mieux connaître, de se comprendre el de construire des solulions réalistes.

    Nous étions prêts à faire un grand pas et personnellemenl j'étais prêt à aborder de nouvelles années d'efforts constructifs, après des années de troubles et de luttes absurdes.

    Est-ce donc l'échec de la tentative abordée par M. DEBRE le jour où il convoquait MM. GASPARD et AMBROISE-ROUX ? Si c'est l'échec, ne désire-t-on pas nous en imputer la responsabilité ?

    Après que M. REMILLON ait présenté son point de vue à M. RENAUDIN au cours d'une unique entrevue, j'ai déclaré à celui-ci que je n'acceptais pas d'être placé sous la direction du premier.

    Pourquoi donc le problème se ramènerait-il à ces dimensions fort restreintes et pourquoi le Président de CITEC l'a-t-il placé d'entrée de jeu à ce niveau.

    Je ne désespère pas que finalement des efforts constructifs soient faits pour aboutir.

    Je vous prie de croire, Cher Monsieur, à l'assurance de mes sentiments dévoués.

    F.H. RAYMOND      

  14. Lettre au Colone1 Auffray, du 27 juin 1966.

    Dans cette lettre je fais allusion aux « propos d'un confiseur » titre à'un livre de Detoeuf qui fut le patron de l'Alsthom. Les jeunes lecteurs n'ont certainement pas lu ce livre dont l'auteur est un homme fin et chaleureux mais sans doute industriel pessimiste. Curieux livre ! Ainsi il y est écrit qu'il y a trois manières de se ruiner : le jeu, les femmes, les ingénieurs ; la seconde est la plus agréable, la troisième la plus dure. Boutade ? Elle fut si souvent répétée il y a 40 à 30 ans !
    Saint-Germain, le 27 juin 1966
     
    PERSONNELLE
    Monsieur le Colonel AUFFRAY
    Etat-Major Militaire
    PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE
    Palais de l'Elysée
    Rue du faubourg Saint-Honoré
    75 PARIS

      Mon Cher Ami,

    Je vous importune encore.

    Vous trouverez ci-joint copie du projet de lettre que je me propose d'adresser, avant son retour de voyage, à l'Amiral PHILIPPON ; vos observations à son sujet seront retenues avec attention.

    Sans avoir compté sur une adhésion du cœur, du moins une adhésion de l'esprit, j'avais espéré qu'un dialogue franc aurait pu s'instaurer avec les représentants de la CAE. Rien. absolument rien. Après une campagne de presse, il est clair que nos adversaires auront beau jeu de nous faire porter la responsabilité de l'échec. La loyauté et la courtoisie n'ont-elles donc plus court dans ce pays ? Je joins enfin une copie d'une note intérieure confidentielle : Jai hésité à vous la remettre, car ce n'est pas courtois vis-à-vis de l'adversaire, Mais comme leur rapport va finalement être placé çà et là, vous faire connaître mes observations à son sujet m'a semblé nécessaire,

    La lecture du rapport CAE, la relecture du nôtre montreront combien nous sommes naïfs de vouloir dire clairement ce que nous pensons ou en tous cas si ce n'est pas clair, ce n'est pas par calcul mais par déficience de nos moyens d'expression. Un chat est un chat, un bit est un bit.

    En définitive, il ne peut plus y avoir maintenant d'accord avec la CAE et s'il devrait y en avoir un, je réfléchirais sérieusement allant de m'y engager personnellement, et il me faudra de singulières garanties... et encore :

    Quel f... pays !

    En repensant à ma visite au Général, en essayant objectivement de regarder la situation actuelle, je me dis : où est la vérité ?

    La rapidité d'évolution des sciences et techniques, l'ouverture des marchés interntaionaux mettent en évidence les maux congénitaux de notre pays. Mais en définitive, rien n'est chan gé, la France a raté sa destinée au début de l'ère industrielle, elle a raté son industrialisation. entre les deux guerres (les meilleurs de ses hommes ayant été tués), elle a raté sa mise en place après 1945.

    Pays de c;;; intelligents dans lequel les cô^teries ont plus de poids que la compétence et l'expérience.

    Pays dont une soit-disante élite faisait siens les propos d'un confiseur.

    A un moment où en définitive je ne sais vraiment pas ce que je ferai et comment je gagnerai ma croûte dans quelques mois, je regrette amèrement de n'être pas parti quand je le pouvais et d'avoir tenté de faire quelque chose pendant bientôt vingt ans pour des prunes. Pour que quelques polytechniciens ou technocrates à l'esprit bien déformé prétendent savoir eux ce qu'il faut faire, qu'ont-ils fait depuis un demi siècle grand Dieu qui soulèverait notre admiration et reconnaissance ?

    Il en faut de l'énergie pour que quelques signaux émergent du bruit.

    Bien amicalement à vous.


    F.H. RAYMOND      

  15. Projet de lettre à l'Amiral Philippon, envoyé pour avis au Colonel Auffray. J'ai oublié 1a suite de cette démarche.
    Saint-Germain, le 27 juin 1966
     
    PROJET
    Monsieur l'Amiral PHILIPPON
    PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUEORTOLIPalais de l'Elysée
    Rue du faubourg Saint-Honoré
    75 - PARIS

      Amiral,

    J'ai eu l'honneur de vous remettre, en le commentant, un premier rapport sur le sujet calculateur, lors d'une audience que vous avez bien voulu accorder à mon Président, M. RENAUDIN, et à moi-même.

    Puis après que le Général de GAULLE m'ait fait l'honneur de me recevoir, j'ai remis à votre collaborateur, le Colonel AUFFRAY, un second rapport.

    J'étais jusqu'à présent prét à faire tous efforts sans me préoccuper de ma position personnelle, pour le succès de ce que la Presse a judicieusement appelé le « Plan Calcul », convaincu que dans la loyauté et la clarté nous pourrions définir une politique réaliste et nous mettre, enfin, au travail avec l'enthousiasme que réclame une situation qui depuis trois ou quatre ans se dégrade de plus en plus rapidement.

    La tentative de MM. DEBRE - ORTOLI apparaît aujourd'hui comme ayant échoué. L'invraisemblable est que ce résultat est la conséquence, non pas de difficultés insurmontables apparues au cours des conversations menées au niveau SEA-CAE, mais de l'absence absolument totale de dialogues entre SEA et CAE (*)

    Dans les dix jours qui suivirent la remise d'un questionnaire pertinent par M. ORTOLI à MM. RENAUDIN et REMILLON, notre réponse était élaborée. Le 10 juin un texte défmitif était prêt et était adressé à la CITEC le 15 juin.

    Le 20 juin, le Président de la CITEC faisait parvenir à la SEA son rapport daté du 17 juin.

    Le nôtre fut remis par M. GASPA.RD à M. ORTOLI le 16 juin et je l'ai remis à titre personnel le 16 juin à M. ALLEGRE et au Colonel AUFFRAY, le 21 jutn à M. AUDOIN.

    Si les industriels en cause ont persisté dans leurs errements antérieurs (car aucun document sérieux n'est sorti de leurs quelques contacts à l'échelon le plus élevé), bien que le Groupe SCHNEIDER – et je puis en attester – ait pris des positions très claires et réalistes, nous devons constater que les divers départements ministériels intéressés n'ont pas joué dans cette affaire des rôles cohérents et clairs. Est-ce donc en raison d'engagements antérieurs divergents ? Une campagne de presse inopportune ajoutera aux appréciations défavorables que ceux qui nous observent portent sur nos activités velleitaires et nos agitations inefficaces.

    Que dire à notre personnel sur lequel agissent les dires discourtois des uns et des autres, qui constate avec amertume que celui en lequel il a confiance, après avoir perdu son temps dans la malheureuse affaire BULL à laquelle nous fûmes associés par ordre (et comme toujours au moment de « payer » les fonctionnaires responsables sont absents...), est privé du strict minimum des crédits de recherches et qui s'étonne de lire dans la Presse que la Compagnie des Machines BULL a reçu des crédits de l'Etat supérieurs à tous ceux que leurf société a reçu depuis qu'elle existe (voir article ci-joint).

    Le rôle du Gouvernement est-il donc de laisser pourir les situations, de laisser à l'abandon ceux de ses industriels (et ici la taille n'a rien à voir) qui ont fait la preuve de leur courage (ne serait-ce qu'en persistant à vivre sans crédits de l'Etat ou si peu...) et de leurs compétences.

    La situation actuelle est pour le moins déconcertante.

    Improviser un accord pour répondre à MM. DEBRE et ORTOLI est impossible, dès lors un accord sérieux SEA-CAE est irréalisable : devant cette nouvelle situation, dûe à la CITEC, le Gouvernement brisera-t-il les situations de fait et déclarera-t-il clairement ses intentions ou bien laissera-t-il se poursuivre le jeu des décisions incohérentes dans lequel interviennent des appels d'offres, tantôt des marchés de gré à gré et jamais des contrôles a posteriori.

    Daignez croire, Amiral, à l'assurance de mes sentiments respectueusement dévoués.

    F.H. RAYMOND      


    (*) Hormis un monologue du Président de la CITEC au Président de la SEA.

  16. Je reproduis ici une « note confidentielle sur le Plan Calcul » écrite le 9 Juillet 1968. Jean Roy, Directeur à la Direction Générale de Thomson-CSF en fut le premier destinataire. Qu'en a-t-il fait ? je me suis toujours abstenu de lui poser la question. L'idée de cette note m'est venue après une discussion avec un ami que je rencontrais. Un jour il me dit : peux-tu faire une note pour Poniatowski ? Je rédigeai cette note mais je pensais que mon ami bluffait un tantinet. En réalité non, car quelques temps après il m'adressa un tiré à part d'un article de Poniatowsky contenant mon texte... et une belle conclusion (dont je n'étais évidement pas l'auteur) sur le  »laser » dans les ordinateurs !!

    Voici donc ma note (et non pas l'article de Poniatowsky !).

    NOTE CONFIDENTIELLE SUR LE PLAN CALCUL
    (9 juillet 1968)


    I – INTRODUCTION

    Cette note propose des éléments de réflexion pour la poursuite du Plan Calcul.

    Il doit être poursuivi car les raisons que l'ont justifié il y a plus de deux ans sont toujours valables alors même que les risques d'échec" sont plus grands ou, d'une autre manière, que l'accroissement continu de la probabilité de succès imposera des efforts plus grands.

    Il ne s'agit pas en effet de créer et de développer des activités dont on pourrait apprécier les limites ; il s'agit de promouvoir une participation française significative à un effort international particulièrement dynamique : l'informatique est en effet un domaine aux aspects multiples dont on est incapable d'imaginer les limites à long terme. faire ce pari implique avec une extrême urgence que soient assurées des positions solides bien choisies, mais n'implique pas d'imiter les actions observées hors de notre pays dont l'ampleur et la chronologie seraient incompatibles avec la situation présente de l'informatique en France

    L'observation des efforts continus accomplis aux USA, en particulier, conduit à un diagnostic objectif : il est trop tard pour gagner le pari Plan Calcul dans une perspective de court et moyen termes.
    Mais on doit opposer à cette position que les événements ne sont pas rigoureusement déterministes et que, pas à pas, des actions convergentes accomplies dans un climat de foi retrouvée et éclairée peuvent les infléchir dans un sens progressivement favorable.
    En effet, l'informatique a amorcé une mutation profonde tant dans le domaine des applications que dans les domaines techniques nombreux dont la maîtrise conditionne le renouvellement et l'extension des produits industriels assurant le chiffre d'affaires et les profits. Les divers aspects techniques de l'informatique interfèrent considérablement : la cohérence des choix est donc la condition nécessaire du succès et il va de soi aujourd'hui, qu'elle n'est pas évidente : la poursuite du Plan Calcul impose donc de modifier ses options politiques actuelles.

    Le Plan calcul est sévèrement critiqué.
    On discerne une erreur et un ensemble de fautes

    L'erreur est :

    – depuis deux ans, le Plan Calcul est caractérisé par des décisions visant uniquement des actions à court terme au profit exclusif de certains (hommes, firmes, organismes) dont les réalisations n'ont jamais été sérieusemt contrôlées ;

    – elle est cohérente avec la position assez coutumière dans notre pays selon laquelle est donnée la priorité au court terme, afin de créer vite l'instrument jugé indispensable (créations de la cII, de la SPERAC, de l'IRIA) ;

    – la première conséquence est que la cII a atteint en dix mois des effectifs sans commune mesure avec sa capacité réelle :
       - de promouvoir des innovations et des produits compétitifs,
       - de dominer les applications du domaine de la gestion,
       - de produire même des produits sous licence,

    et elle apparaît être inorganisée, les divers rouages qui définissent sa structure ne pouvant pas fonctionner en raison de fautes nombreuses ;

    – la seconde conséquence est que les efforts de recherches qui hors d'une voie de suiveur étaient engagés il y a deux ans, ont été anéantis et que les résultats des recherches accomplies par la cII depuis sa création sont voisins de zéro.

    Il n'est pas exagéré de dire, dans ces conditions, que l'informatique est dans une situation plus mauvaise deux ans après la décision du Plan Calcul qu'elle ne l'était au début ; elle a perdu sa mobilité, l'esprit d'entreprise et la foi, alors que la concurrence étrangère a continué à progresser et aura augmenté son avance pour affronter les mutations profondes de l'informatique (qui étaient tout aussi évidentes il y a deux ans qu'aujourd'hui).

    Délaissant l'analyse des fautes commises, c'est donc la correction de l'erreur évoquée ci-dessus qui conditionne la poursuite du Plan Calcul.

    NOUVELLES ORIENTATIONS DU PLAN CALCUL

    a) CII
    - corriger les effets des fautes commises et la débarrasser de sa viscosité interne,
    - aboutir dans un délai de douze à dix huit mois à la réalisation d'un instrument industriel et commercial efficace,
    - la doter d'une gestion intégrée sur ordinateur.

    b) SPERAC
    - assurer la convergence de cette firme vers CIl en vue de réaliser, à moyen terme, les conditions favorables à une fusion (ou absorption) dans un département  »périphériques » de CIl.

    c) Créer et développer un humus informatique et technologique national, donc hors de la CIl et de la SPERAC, dans le cadre d'un programme à moyen et long terme animé par le nouveau Délégué à l'Informatique, en coopération, entre autres, avec la DGRST, l'Enseignement Supérieur et le CNRS, la DRME, le CEA.

    d) IRIA
    - définir clairement, compte tenu de c), la politique de l'IRIA dans une perspective à long terme en donnant la priorité à la recherche et à des projets ambitieux, les problèmes de formation étant considérés comme des corollaires des actions principales de l'IRIA ou comme des étapes nécessaires à leur préparation.

    Remarques :
    Des compétences et des bonnes volontés existent à l'échelon national, il est donc naturel qu'elles participent effectivement au pari informatique.

    L'action c) répond à ce besoin et elle apparaît être le moyen le plus efficace pour que la CII prenne conscience que son avenir dépend de sa capacité d'innovation et que l'IRIA complète, pour des actions à long terme, les efforts qui seraient issus de l'action c).

    Si CII doit rester, durant le délai nécessaire à sa remise en ordre et au-delà, l'unique constructeur d'ordinateurs soutenu par le Gouvernement, il ne peut être proposé une politique qui aboutirait à lui créer une concurrence commerciale.

    Mais il est proposé de créer, et soutenir pendant plusieurs années, une compétition scientifique et technique obligeant la CII à faire montre d'imagination et de dynamisme, afin de tenter de jouer un rôle majeur dans cet effort national.

    Sans cette compétition qui devra être sérieuse et active, à terme la CIl n'aurait d'autre issue que la voie des licences dans une politique à court terme.

    La délégation à l'informatique

    Nous persistons à penser que l'intervention autoritaire du Délégué à l'informatique dans la politique de l'équipement informatique des Services Publics et para-publics est contraire aux nombreux intérêts en présence et que cela n'est pas favorable à la création du dynamisme nécessaire.

    En effet, les situations de conflits entre une politique industrielle et une politique d'équipement et d'emploi doivent être reconnues afin d'être résolues, même dans un cadre pragmatique, en énonçant clairement les incidences sur les deux politiques en présence afin d'en tirer le maximum d'enseignements.

    En outre, les industriels principaux du Plan Calcul, la CIl et la SPERAC, et le Délégué à l'Informatique, d'une manière aussi profonde (s'il cesse d'être responsable de la politique d'équipement), doivent agir dans un climat permanent de compétition technico-commerciale. Ce climat disparaît, il faut le reconnaître, lorsque les industriels peuvent compter sur la pression et l'autorité de leur tuteur. La notion de « domaines protégés » pourrait persister mais les industriels devraient faire montre des qualités absolument nécessaires pour affronter une redoutable compétition internationale.

    Par ailleurs, une politique d'équipement semble devoir être appuyée sur les compétences des utilisateurs, d'où la nécessité impérieuse d'une décentralisation et délégation de la responsabilité sans laquelle l'avenir de l'informatique risquerait d'être compromis, mais en même temps une centralisation des décisions ou du contrôle des décisions paraît devoir être nécessaire jusqu'au moment où l'industrie nationale sera compétitive.

    Ces remarques suggèrent donc de confier à la Délégation à l'Informatique des missions de promotion des emplois des moyens informatiques, dans le secteur public et semi-public, en particulier, mais de définir dans un cadre différent l'intervention du pouvoir public dans le choix des équipements des deux secteurs considérés.

     
     

    NOTE ANNEXE

    A propos de l'analogique


    1 - Revenons sur la remarque d'André Danzin rappelée ci-dessous :

    "On eut ainsi écourté la fastidieuse controverse sur la primarité de l'analogique qui a retardê certaines stratêgies de choix techniques en êlectronique"

    Je ne sais où la controverse avait pris naissance ; à la CSF en raison de l'existence de la filiale ANALAC ? L'histoire d'ANALAC mériterait d'être contée. A l'origine, il y a la technique de Contraves, Sté Suisse bien connu, utilisée pour réaliser les "PC de tir" (contre avions) technique à courant porteur à faible fréquence et capacités (1). Honoré et Torcheux brevèteront une technique à courant porteurs à fréquence plus élevée – 400 hertz ? – et par ailleurs, plus astucieuse (2). Les brevets d'Honore et Torcheux furent exploités par ANALAC, créé dans ce but par la CSF. J'ai rencontré plusieurs fois ces deux inventeurs, ils chercheront à perfectionner leurs techniques (et à étendre leur portefeuille de brevets, leur source de revenus) pour concurrencer l"'analogique continue" et le numérique dans des cas particuliers.

    ANALAC fut absorbée par CII et la controverse dispamt, comme d'ailleurs le Département analogique et simulateurs de la SEA... Mais également les problèmes de fond avec eux. La communication de P. Braffort rappelle la nature de ce qui n'était pas une controverse, cette note va dans le même sens, en cuisiniste.

    2 - Une première classe de calculateurs analogiques est caractérisée par un assemblage d'organes dont la structure est caractéristique du problème à résoudre. Plus simplètement : on dispose d'un ensemble d'organes (intégrateurs, additionneurs (on disait sommateurs) multiplieurs qu'on connecte entre eux, selon un schéma qui est l'image, quasiment point à point, du système d'équations proposé (3).

    L'analogique, selon cette voie, a donc pour objet la résolution des équations ; équations algébriques, équations différentielles.

    La notion d'asservissement y joue un rôle fondamental, notion qui n'était pas mise en œuvre dans l'ANALAC ; ni dans l'analyseur différentiel de Vannevar Bush dans lequel les liaisons non holonomes (par roulement : intégrateur mécanique de Lord Kelvin) en tenaient lieu... (voir (4)(5) par exemple).

    3 - Dans cette note, je reprends une idée exprimée dans (3).

    Soit à étudier le comportement (dynamique) d'un système physique. Généralement son comportement est décrit par des équations différentielles ou aux dérivées panielles. Ce sont elles qui servent d'intermédiaire entre le système physique et sa représentation par un calcu1ateur analogique.

    Si les solutions du système mathématique proposé sont bornées dans un intervalle de temps (suffisamment grand) on peut espérer que le comportement du calculateur analogique représente correctement celui du système physique décrit par la formulation mathématique.

    Et inversement si le comportement du calculateur analogique est borné durant un laps de temps significatif on peut espérer qu'il donne une image fidèle du système physique décrit par le système mathématique proposé.

    Exprimons celà plus précisément.

    Soit φ un système physique, Σφ est une formulation aussi complète que possible de son comportement en fonction du temps, à partir d'un état donné pris comme état initial, formulation sous la forme d'un système d'équations différentielles Σφ est d'utilité pratique limitée, dans la plupart des cas, aussi considère-t-on une suite Σ'φΣ''φ... de systèmes mathématiques obtenus de Σφ par dégénérescence. Une connaissance antérieurement acquise (par tous moyens, y compris évidemment le caIcul analogique) du système φ permet en général de choisir un système différentiel dégénéré Σ0φ. A partir de lui on réalise la structure du calculateur analogique désigné par Ca, par des connexions électriques de ses composants (opérationnels).

    Le componement de Ca est décrit, 1ui aussi, par un système différentiel désigné par Σa considérablement plus complexe que Σ0φ. on considère une suite Σ'aΣ''a de systèmes dégénérés ; on passe d'un système différentiel de la suite Σa au suivant en supposant nuls certains paramètres physiques tels que capacités, autoindactances De même pour Σφ on construit la suite Σ'φΣ'φ en supposant nulles des masses des élasticités, des viscosités, des capacités etc. selon les cas.

    La propriété fondamentale d'un calculateur analogique à amplificateurs (notion de servomécanisme à un grand nombre de variables) est la suivante : soit go un gain caractéristique des amplificateurs assurant les asservissements du modèle analogique alors le "schéma" réalisé par celui-ci étant décrit par le système différentiel dégénéré Σga (par exemple) nous avons :

    plus précisément soit la réalisation du schéma décrivant Σ0φ par le calculateur analogique, le comportement de celui-ci étant décrit par un système dégénéré Σga si go est infini alors Σga0φ

    Le difficile problème concerne l'appréciation de l'approximation des solutions élaborées par Ca ; de là les expressions "on peut espérer..." utilisées plus haut. Il est clair que Ca permet la réalisation approchée (d'autant mieux que g0 est grand, en première approximation, voir (6)) du système différentiel Σ0φ et non pas du système physique.

    Une voie, antérieure à celle rappelée ci-dessus, de l'analogique est celle qui consiste à construire un modèle physique, désignons le pas φ, au sujet duquel nous pouvons considérer le schéma :

    Deux cas se présentent : ou bien Σφφ' en raison de la nature de φ et de son modèle φ', ou bien

    Σ0φ0φ'

    un exemple de cette démarche est donné par les analogies de J. Peres et L. Malavard imaginées il y a un demi-siècle et considérablement développées et perfectionnées ensuite par L. Malavard et ses collaborateurs - La "résolution" des équations aux dérivées partielles fut ainsi possible en attendant la venue des "superordinateurs", pour nombre d'applications importantes (en aéronautique en premier lieu) (7).
    Jusqu'alors dans la majorité des cas, un calculateur numérique (un ordinateur !) est caractérisé par une structure invariable, par opposition à la structure variable, modifiable, d'un calculateur analogique.

    Dans (3) je posais la question : ne doit-on pas naturellement mettre en question ce fait ? J'ajoutais "les progrès prévisibles de la microélectronique permettent d'imaginer des machines dont la densité en éléments fonctionnels distincts sera, de plusieurs ordre de grandeur plus élevée que celle des machines construites actuellement, qu'elles soient analogiques ou arithmétiques"..

    Le schéma ci-dessous rappelle brièvement la démarche dans l'usage d'un calculateur digital :

    An voque l'algorithme choisi, P est son expression sous forme d'un programme et Cn est le calculateur digital.

    La précision - donc la signification - de la réponse fournie par Cn est ici également un problème difficile. La propagation des erreurs d'arrondis, en particulier, pose des questions difficiles.
    "Le schéma ci-dessus n'emprunte pas aux notions habituelles de la formulation des lois de la physique, dès lors on doit en tirer deux conséquences pour la résolution de problèmes mathématiques issus de la formulation des problèmes physiques, φ du schéma de la figure 1 : ou bien on rejette la formulation classique.. (sous forme d'équations différentielles) comme inadéquate, ou bien on rejette la description, dans un langage de programmation, du comportement d'un calculateur numérique programmé comme étant, elle aussi inadéquate. Personne n'ayant réagi à cette partie de mon exposé à Bruxelles en 1967, j'en infère que j'ai déliré...

    Je laisse le lecteur libre d'en juger et de lire (3) pour sourire ou réfléchir ! et bien entendu de méditer les propos de P. Braffort.

    4 - Plus haut j'ai considéré un gain, go, caractéristique des asservissements du modèle analogique. Typiquement, go est, par exemple, le gain à la fréquence zéro des amplificateurs électroniques utilisés. Ce n'est évidemment pas le seul paramètre qui gouverne la "représemativité" du calculateur analogique, la largeur de bande des amplificateurs en est un autre, très important. Je crois me souvenir qu'elle était égale à plusieurs megahertz. Un calcul simplet indique alors que les changes d'information entre les organes opérationnels du calculateur analogique représentent un débit total très important (de l'ordre du gigabits/sec pour une centaine d'organes et une précision de l'ordre de 10-3, localement).

    Clairement si ce débit doit être assuré non pas en "parallèle", chacun pour soi, mais séquentiellernent, il faut selon le schéma dit de von Neumann des rapidités que les techniques électroniques permettent de réaliser seulement depuis quelques années. D'où le désintérêt pour l'analogique ; c'était justifié, mais ne l'ait pas le fait, qu'on ne réfléchisse pas à nouveau aux leçons du passé en faisant évidemment preuve d'imagination. Ce n'est donc plus de l'histoire mais du présent, donc j'arrête là cette note.

    [Notes de la note annexe]

    1. courants porteurs de l'information, à 50 hertz si ma mémoire est bonne
    2. voir p 134 - § "le procédé analac" dans l'infonnatique de Maurice Ponte et Pierre Braillard. Le Seuil 1969.
    3. "Réflexions sur les machines à calculer" - CR des Journées d'Etudes du dixième anniversaire de l'AlCA, Bruxelles, 1967.
    4. L'automatique des informations, Masson edit. réédition en 1982. Les analogiques mécanique et électronique sont traités dans les premiers chapitres.
    5. "Calcul analogique et machines électroniques" - Reproduction de la Ricerca Scientifica de décembre 1952, par les éditions de la revue d'Optique, à Paris.
      Le point de vue mécanique est intéressant. Le lecteur curieux lira avec intérêt la note publiée aux CR Ac. Sc., rubrique "Calcul mécanique", sur une machine à résoudre les systèmes d'équations linéraires, note de Paulina Castellells Vidal. présentée par M. d'Ocagne, séance du 25 mai 1936/ Une probable "analogie" existe avec l'Analac... je n'ai pas le temps d'en donner la preuve !
    6. "Quelques remarques sur la précision des calculateurs analogiques", CR. Journées Internationales de Calcul Analogique - Bruxelles Sept-Oct. 1955 - in Revue H.F., Vol. 3, no4 (1955).
    7. Dans (3) est évoqué le projet Solomon ; ce fut le (ou l'un des) précurseur(s) de l'llliac, multiprocesseur réalisé avec l'aide de la compagnie Brroughs si ma mémoire est fidèle.
    8. Un jour je rendis visite à M. Ponte, c'était dans les années 50 pour naïvement lui communiquer des idées sur le mariage du "digital" et du radar et recueillir ses critiques et observations, Je l'ai rendu furieux ! il m'a dit (en bref) : nous ne serons pas amis si vous raconter ceIà à mes clients militaires ; j'ai de l'analogique à amortir... Ma réponse fut brève d'impertinence ; vous n'amortirez rien dans une voie idiote".. Les années passèrent M. Ponte me pardonna, je crois.
      Alors que des "conversations" agitaient le microcosme industriel, Jean Roy (Directeur à la direction Générale de CSF) me parla d'Analac ; il avait des illusions sur son poids et son avenir et je ne lui ai pas caché mon opinion à ce sujet ; mais m'avait-il compris ? qu'avait-il compris de la présence de CSF et de lui-même dans Bull ? partir de son expérience acquise au cours de sa carrière brillante dans CSF, pour comprendre l'échec de Bull devait conduire nécessairement à une impasse.
       
       
       

    Pièce annexe — 14 February 1969

    Dear Monsieur Raymond,

    1 am sorry to have taken so long in replying to your letter dated 27 November, in which you ask for infonnation about the evolution of this Laboratory and the contributions that it has made to computer technology

    The Laboratory was started shortly before the war to house a Bush mechanical differential analyser and an electronic machine designed by Mallock for solving simultaneous linear equations. It was also intended to be a centre where computing would flourish. The war prevented development of these plans, although the equipment was used on war service. After the war, we became interested in digital computers and eventually dropped our interest in analogue computers altogether.

    EDSAC 1, which did its first calculation early in May 1949, was the first of the early stored program computers actually to work. Experience with this machine led us to publish the first book on programming (Wilkes, Wheeler & Gill, Addison Wesley, 1951). Microprogramming originated here, the first public mention of it being in a lecture 1 gave at a conferene in Manchester in 1951. We were aclive in the deve1opment of e1ectro-mechanical peripherals and tape-preparation equipment. The well-known Elliott photo~e1ectric tape reader is closely based on a design originated here. At one time we were, 1 believe, the only organization in Europe working with magnetic tape. EDSAC 2, which took over from EDSAC 1 in 1958, was a microprogrammed computer. Our present computer is known as the Titan, and is the prototype Atlasa 2.1t was designed jointly by ourselves and Ferranti Limited. Work on the supervisor, which was very advanced when first initiated, was begun in collaboration with l.C.T. which by then had absorbed Ferranti. later deve1opments which have added console facilities have been ours alone. We have an integrated system allowing for both foreground and background and a comprehensive filing system. Management and security features are highly developed. Material on the system has appeared in recent papers in the
    Computer Journal and in a book by me on Time-sharing computer rysterns (Macdonald, 1968). the Laboralory has been active in programming languages and in particular originated CPL. Our interest in hardware has continued and, until recently, we had in progress a project on tunnel diode computing circuits.

    At present we have an active group working on computer graphics from the computer-aided design point of view, and another group interested in applications in electronic circuit analysis. We are still working on operating systems, and are making plans for a further project in this area. These is active work in the areas of interactive programming languages and in languages for computer-aided mathematics.

    As regards personalities, people who have worked, or are working, in this Laboratory and have made contributions to the art include Renwick, Wheeler, Gill, Strachey, hartley, Needham and Wiseman. Wheeler in parlicular made remarkable contributions in the early days when as a young student, he originated many of the programming techniques that are now widely adopted. Outside this Laboratory one thinks of F.C. Williams, Kilburn and Brooker at Manchester, and the groupe at the National Physical Laboratory. ln particular, Wilkinson, working wilh the latter group, has made remarkable contributions to numerical analysis in the field of linear algebra. Outside Great Britain there are far too many people to mention, most of them, of course, working in the United states. ln my view, Eckert and Mauchly were the real pioneers of the field. Alexander and Huskey came shortly afterwards, but there are, of course, very many more. Von Neumann, of course, was a dominating figure, but 1 regard him as a mathematician rather than a computer scientist. The same is true, to a very much greater degree, of Turing. You may have seen the Turing Lecture that 1 delivered to the ACM in Washington in 1967 which 1 called "Computers then and now'.

    These notes are, 1 am afraid, rather rough, but they may be of some assistance ta you.

    Yours sincerely,


    M.V. WILKES


[Haut de cet article – This paper Top] – Septembre 2006
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