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Biographie du Père Truchet
selon le Dictionnaire historique de Louis Moreri

Supplément, M D CC XXXV, pages 412-413
 

Couverture du Moreri
 
Le texte ci-dessous se veut une copie ficèle du texte de 1735. Toutefois la typographie n'a pas été respectée (utilisation des s longs, ligatures ct, chiffres pointés, espaces avant les ponctuations, etc.).
 

TRUCHET (Jean) né à Lyon en 1657 d'un marchand fort homme de bien, entra dans l'ordre des Carmes dès l'âge de 17 ans, & y prit le nom de Sebastien, sous lequel il a toujours été connu depuis. La vue du cabinet que M. de Serviere, gentilhomme d'une ancienne noblesse, avoit à Lyon, qui étoit rempli d'un grand nombre d'ouvrage de tour, de différentes horloges, de modeles d'inventions propres pour la guerre ou pour les arts, que ce gentilhomme avoit presque tous imaginés & executés lui-même, decida du genre d'occupation du P. Sebastien. Il s'y apperçut que son génie étoit tout pour la méchanique, & il s'y livra entierement. Cependant, ses supérieurs l'envoyerent à Paris au collège royal des Carmes de la place Maubert, pour y faire ses études en philosophie & en théologie : mais la physique eut presque toute son application, & ce ne fut pas inutilement. La rencontre qui commença à le faire connoître est assez singuliere pour être rapportée ici. Charles II roi d'Angleterre avoit envoyé au feu roi (Louis XIV) deux montres à répétition, les premieres qu'on ait vues en France. Elles ne pouvoient s'ouvrir que par un secret, en sorte que s'étant dérangées, M. Martinot horloger du roi, entre les mains de qui elles furent remises, ne put y travailler, faute de les sçavoir ouvrir. Cet habile homme ne rougit point de l'avouer, & encore moins de dire à M. Colbert qu'il ne connoissoit qu'un jeune Carme capable d'ouvrir ces montres. C'étoit le pere Sebastien, qui les ouvrit en effet, & de plus les raccommoda, sans sçavoir qu'elles étoient au roi. Quelques temps après il reçut un ordre de M. Colbert de le venir trouver, sans qu'on lui expliquât le motif de cet ordre. Le P. Sebastien se trouve chez le ministre à l'heure marquée, & se présente à lui interdit & tremblant. M. Colbert accompagné de M. Mariotte de l'académie des sciences & d'un autre membre de cette académie, le loue sur les montres, lui apprend pour qui il a travaillé, l'exhorte à suivre son grand talent pour les méchaniques, sur-tout à étudier les hydrauliques, qui devenoient nécessaires à la magnificence du roi ; & pour l'animer davantage, il lui donne 600 livres de pension, dont la premiere année lui fut payée le même jour. Le P. Sebastien qui n'avoit alors que 19 ans, encouragé, comme il est aisé de le croire, par ce premier succès, s'appliqua d'abord à la geométrie absolument nécessaire pour la théorie de la méchanique, & ensuite il s'instruisit à fond des différentes parties des ats ; il étudia même l'anatomie & la chimie & loin de ne rien negliger de ce qui pouvoit lui être utile par rapport aux machines, il alloit jusqu'au superflu, s'il y en pouvoit avoir, pour ne rien ignorer de ce qu'il vouloit sçavoir. Il a possedé à fond la construction des pompes & la conduite des eaux. Il a eu part à quelques acqueducs de Versailles, & il ne s'est gueres fait ou projetté en France pendant sa vie de grands canaux de communication de rivieres, pour lesquels on n'ait du moins pris ses avis. Il a travaillé aussi à un grand nombre de modeles pour différentes manufactures, par exemple, pour les proportions des filieres des tireurs d'or de Lyon, pour le blanchissage des toiles à Senlis, pour les machines des monnoyes de France ; & sur sa réputation, M. Gunterfield, gentilhomme Suedois, dont un coup de canon avoit emporté les deux mains, vint à Paris pour demander au P. Sebastien qu'il lui fit deux mains artificielles, qui n'auroient pour principe de leur mouvement que celui des moignons qui lui étoient restés, distribuées par des fils à des doigts qui seroient fléxibles. Le P. Sebastien tenta l'entreprise ; & il l'avoit déja assez avancée, lorsque feu Monsieur eut besoin de lui pour le canal d'Orleans, & l'interrmpit dans ce travail. En partant, il remit tout ce qu'il avoit pour l'execution de son dessein, à M. du Quet, célèbre méchanicien, qui mit la main en état de se porter au chapeau de l'officier Suedois, de l'ôter de dessus la tête, & de l'y remettre. Il auroit été plus loin, si l'officier ne fût pas retourné trop tôt dans son pays. Feu M. le duc de Lorraine étant à Paris incognito, fit l'honneur au P. Sebastien de l'aller trouver dans son couvent, & il y vit avec beaucoup de plaisir le cabinet curieux qu'il s'étoit fait. Dès qu'il fut de retour dans ses états, où il vouloit entreprendre différents ouvrages, il le demanda à M. le duc d'Orleans, régent du royaume, qui consentit au voyage du P. Sebastien. Le feu csar Pierre le grand, honora aussi ce Pere d'une visite qui dura trois heures ; & ce monarque ne pouvoit se rassasier de voir dans le cabinet de cet habile homme tant de modeles de machines, ou inventées ou perfectionnées par lui, tant d'ouvrages, dont ceux qui n'étoient pas recommandables par une grande utilité, l'étoient au moins par une extrême industrie. Le P. Sebastien a imaginé pour M. le duc de Noailles, lorsqu'il faisoit la guerre en Catalogne, de nouveaux canons qui se portoient plus aisément sur les montagnes, & se chargeaint avec moins de poudre, & il a fait des memoires pour M. le duc de Chaulnes sur un canal de Picardie. Il a été appelé pour cette partie aux études de trois enfans de France, petit-fils du feu roi, & il a souvent travaillé pour le roi même. C'est lui qui a inventé la machine à transporter de gros arbres tous entiers, sans les endommager. Ses tableaux mouvans ont été encore un des ornements de Marli. Le premier que le roi appela son petit opera, changeoit trois fois de décoration à un coup de sifflet ; car ces tableaux aussi la proprieté des résonans ou sonores. Le deuxiéme tableau qu'il présenta au roi, plus grand & encore plus ingenieux, representoit un paysage où tout étoit animé : une riviere y couloit, des tritons, des syrenes, des dauphins y nageoient dans une mer qui bornoit l'horison ; on chassoit, on pêchoit, des soldats alloient monter la garde dans une citadelle élevée sur une montagne, des vaisseaux arrivoient dans un port, &c. Le P. Sebastien y étoit lui-même, qui sortoit d'une église. Le roi nomma ce pere pour être un des honoraires de l'académie des sciences au renouvellement de cette académie en 1699 & l'on trouve plusieurs memoires de sa composition dans le recueil de cette societé. Les dernieres années de sa vie se sont passées dans des infirmités continuelles, & il mourut le 5 fevrier 1729. Il a toujours passé pour un très-bon religieux, très-fidèle à ses devoirs, & il étoit doux, modeste & desinteressé. * Hist. de l'acad. des sciences, an. 1729, Merc. de France, Avril 1720, p. 688.


 

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Page créée le 11 juillet 2006