C'est la faute à l'ordinateur |
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Résumé. On montre comment les dessins humoristiques
liés aux ordinateurs sont témoins de la façon dont le grand public français voyait l'informatique
avant l'ère de la micro-informatique. Ces dessins sont autant d'illustrations du
« mythe de l'ordinateur ».
Plusieurs thèmes peuvent se dégager : les « monstres »
ou les « dictateurs », l'anthropomorphisme,
mais aussi l'incompréhension, la méconnaissance, la crainte. Introduction A chiId of six could do it (« Un enfant de six ans en ferait autant » !), telle était le nom d'une exposition à la Tate Gallery à Londres en 1973 consacrée à la vision de l'art moderne qu'avaient les dessinateurs humoristiques, et par là le grand public. La méme exposition mériterait d'être refaite au sujet des ordinateurs. Les cartoons about computers(1) ont fait l'objet de quelques rares études aux Etats-Unis ou en Angleterre(2). Jusque plus ample informé il n'en existe pas d'équivalent en France(3). Pourtant il y a matière à étudier ces dessins humoristiques qui permettent souvent de déceler la vision qu'avait le grand-public de ces ordinateurs au début de la seconde moitié de ce siècle. Nous avons commencé une telle étude, d'avantage sociologique qu'informatique. dont, après avoir présenté les sources, nous tirerons quelques clés et questions pour un prolongement de cette analyse. A noter que nous nous limiterons à ce qui s'est fait en France, devant bien sûr nous référer parfois à des dessins américains tout comme toute étude d'histoire de l'informatique doit bien se référer à ce qui s'est fait aux USA. Par ailleurs nous nous limitons ici au seul hardware, n'abordant qu'in fine le problèmes des logiciels (et en particulier les langages) et celui des « programmeurs ». Enfin nous supposons connues du lecteur les grandes lignes de l'histoire de l'informatique (voir par exemple [5] [6]). Les sources Comme beaucoup d'informaticiens, j 'ai longtemps eu sur la porte ou sur le mur de mon bureau tel ou tel dessin humoristique. Puis un jour j'ai décidé de les collectionner de façon plus sytématique. Bien que cette collection (aujourd'hui plus d'un millier de dessins) n'ait pas été faite de façon systématique, on peut classer les dessins selon leurs origines : La presse spécialisée en informatique En France, pas plus qu'aux USA d'ailleurs(4),
les revues « académiques », comme l'ancienne
RAIRO publiée par l'AFCET chez Dunod et reprise aujourd'hui par TSI,
ne sont pas vraiment faites pour recevoir des dessins(5).
Par contre les revues plus commerciales, les mensuels des années 70 puis les
hebdomadaires d'aujourd'hui font toujours place à quelques dessins, soit en illustration
d'un article donné, soit de façon plus indépendante(6),
soit pour leur couverture. En général, les rédactions font appel à un dessinateur qui reste
attaché au journal un certain temps. Ainsi 01-Hebdo fait-il appel au seul Zevar
tandis que des magazines comme lnformatique et Gestion ont fait appel à Soulas,
Temps-Réel à Gautier ou Cardon, Le Monde Informatique à Ponto, Cointe,
Mesen, etc. Même si ces dessinateurs sont sûrement des habitués (voire des
professionels) de l'informatique(7), ils montrent une
certaine image des ordinateurs, sans doute plus à jour que celle des dessinateurs des journaux
grand public, mais toute aussi
intéressante avec quelque recul. C'est donc la première source de nos dessins. La presse générale A priori, elle est beaucoup plus intéressante puisque les dessins ont été faits par des non-spécialistes de l'informatique pour des non-spécialistes de l'informatique. Toutefois les dessins consacrés aux ordinateurs y sont quand même assez rares. La presse quotidienne fait maintenant régulièrement appel à des dessinateurs, mais ceux-ci sont plutôt «politiques » (par exemple Faizan au Figaro, Konk , Plantu, etc. au Monde, etc.). Les dessins d'ordinateurs n'y apparaissent donc qu'en des circonstances exceptionnelles (par exemple Le Sicob). La presse hebdomadaire par contre est plus riche et des dessinateurs comme Folon, Gourmelin, Sempé etc. y voient leurs dessins publiés pour illustrer tel ou tel article, tandis que le Canard enchaîné a souvent été amené à illustrer des problèmes du « Plan Calcul ». Enfin, il existe une certaine presse qui consacre une page entière à des dessins humoristiques (par exemple La Vie Catholique il y a quelques années encore), mais il s'agit souvent de reprises de dessins parus déja ailleurs. La presse spécialisée en humour ou en dessin Assez paradoxalement. la presse française spécialisée en humour
(qu'il s'agisse du Hérisson ou de Charlie Hebdo !) est très décevante
point de vue ordinateurs : ou bien elle reprend d'anciens dessins, ou bien elle ignore ce
domaine... Quant aux BD, et suttout celles de science fiction, la place de l'ordinateur y est
plutôt rare(8), soit qu'il est complètement intégré
(et invisible) dans des vaisseaux intersidéraux, soit qu'il en est absent... Les publicités Une autre source consiste à étudier le matériel publicitaire : affiches(9), les annonces dans la presse ou les publicités expédiées aux professionels(10), voire les spots télévisés(11). Les livres Certains ouvrages d'informatique sont parfois illustrés de dessins(12). Problèmes de diachronie Le fait qu'un dessin paraisse telle année dans telle revue ne signifie pas qu'il ait été dessiné cette armée là : il a pu être repris d'une autre revue, ou inspiré par un autre dessin(13). Mais ce qui reste intéressant c'est que tel journal publie avec un certain retard, et donc avec un certain consentement tacite. tel dessin où l'ordinateur a un look périmé(14). Générations d'ordinateurs et dessins humoristiques Il est de coutume de faire entrer les ordinateurs dans des « générations ». Disons de suite que les changements de générntions ne transparaissent guère dans les dessins d'ordinateurs, sauf bien sûr ceux faits a fortiori comme celui de Zevar (en 1986, figure 7) où d'ailleurs l'ordinateur est toujours le même(15). il nous semble par contre que l'on puisse distinguer en gros ces générations dans les dessins d'ordinateurs, classables comme suit :
Nous allons à présent voir quelques points indépendamment de cette notion de chronologie. Anthropomorphisme L'anthropomorphisme est l'une des premières évidences qui ressort de nombre de ces dessins. C'est la forme la plus facile à dessiner du mythe ordinaleur=cerveau. Cet anthropomorphisme prend plusieurs aspects, parfois antagonistes. Considérons d'abord les gros ordinateurs :
Alors que le gros ordinateur est plutôt austère ou alors qu'il dérange,
le micro-ordinateur par contre est beaucoup plus convivial, souriant (exemple
figures 45, 46). Par ailleurs, on ne sait plus très bien si
c'est l'homme qui est un micro-ordinateur ou le contraire : il y a osmose ou
coopération (figure 39). Enfin il faudrait citer quelques cas où l'ordinateur est ravalé au rang de l'animal. (exemple figures 37, 43). Machine électrique ou magique ? Une chose est assez curieuse : l'importance de l'électricité. Nous avons déja signalé la confusion, déja ancienne il est vrai, entre ordinateur et machine électrique ( figures 5 et 9 par exemple). Mais il est frappant de voir le nombre très important de dessins où « la prise de courant » est clairement indiquée (voir figures 14, 27, 43, 45, 47, 50, 73, etc.), et ce même de nos jours(17). Or il me semble que les dessins humoristiques liés à la télévision ne montrent que rarement la prise électrique des postes. Mais quelques dessins particulièrement nets montrent que l'électricité pour un ordinateur c'est la vie (figure 49), l'intelligence, voire Dieu (figure 52) ce qui est encore une forme d'anthropomorphisme. Ces dessins montrent aussi qu'en fait on ne sait pas comment marchent ces ordinateurs, qu'il y a en eux autant de mystères que dans l'existence... En tout cas l'ordinateur est souvent en panne (figures 14, 16, 51) ou bon à jeter à la poubelle (figure 73), ce qui est quand-même rassurant pour nous humains. Mais comment ça marche ? Une autre caractéristique des dessins d'ordinateurs, c'est le grand nombre
d'entre eux qui posent la question « Comment ça marche »,
souvent sous la forme « mais qu'y-a-t'il donc dedans ? ».
Les réponses données par les dessinateurs ont souvent beaucoup d'humour
(figures 19, 20, 22, 23
33, etc.), Autres thèmes Ce congrès étant en priorité consacré au hardware, nous nous sommes surtout intéressé dans cette présentation à l'aspect « physique » des ordinateurs dans les dessins humoristiques. Il y aurait bien d'autres choses à y analyser. Citons quelques exemples :
Conclusion Il y aurait donc encore beaucoup à dire sur tous ces dessins. Un sociologue, Erik Neveu. à qui j'ai montré les dessins qui suivent. m'a fait la remarque suivante : « Je suis très frappé par la dimension de crainte qui ressort de beaucoup d'images : volonté de banaliser l'ordinateur en montrant qu'il ne contient que des choses banales (placard, vin), allusion à son impuissance face aux grands problèmes métaphysiques (poule et œuf. Dieu), ou tout ce qui relève de ses usages pour un contrôle social. On sent une volonté de se rassurer. » Nous pensons ainsi avoir montré, au travers de certains de ces petits dessins, le mythe de l'ordinateur super-cerveau. mais aussi l'incompréhension des dessinateurs et donc du grand public. Et nous espérons surtout avoir attiré l'attention des sociologues sur une voie d'étude... | ||
Notes | ||
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Bibliographie
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[Haut de cet article – This paper Top] – Septembre 2006 |